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variétés

transmettent ou reçoivent du mouvement. Quant aux énergies qui s’exercent, sans que nous y attachions l’idée d’une communication de mouvement (wilhou our annexing to them any idea of communicated motion), nous considérons seulement notre expérience constante de la conjonction des phénomènes ; et comme nous sentons (feel) une connexion habituelle (a customary connexion) entre les idées, nous transférons ce sentiment aux objets (we transfer that feeling to the objects), car rien n’est plus ordinaire que d’appliquer aux corps externes toute sensation interne qu’ils occasionnent. » (Enq. conc. Hum. Underst., sect. VII, p. 2, note). Ainsi l’habitude déterminante n’est pas plus que l’effort, la cause saisie sur le vif, c’est une sensation qui résulte et dépend de la conjonction des phénomènes et que, par suite d’une illusion qui nous est ordinaire, nous projetons hors de nous.

Nous trouvons la pleine confirmation de ces vues dans l’essai sur la Liberté et la Nécessité, dont chaque argument implique que l’idée de cause, en tant qu’elle dépasse l’idée d’une conjonction constante et y ajoute la connexion nécessaire, se ramène à une illusion subjective. (Enq. conc. Hum. Underst, sect. VIII.) Dès que nous nous faisons une juste idée de la causation, nous reconnaissons que les volitions humaines sont soumises, aussi bien que les phénomènes externes, à la nécessité. À quoi se réduit en effet notre idée de la nécessité ? « Notre idée de nécessité et de causation sort tout entière de cette uniformitė, observable dans les opérations de la nature (our idea of necessity and causation arises entirely from that uniformity, observable in the operations of nature), d’où suit que des objets semblables sont constamment joints ensemble et que l’esprit est déterminé par l’habitude à inférer l’un de la présence de l’autre » (sect. VIII, p. 1). La nécessité consiste donc soit dans la conjonction constante des phénomènes semblables, soit dans l’inférence de l’un à l’autre : « deux sens qui, à vrai dire, sont au fond le même (both these senses, indeed, are at bottom, the same (sect. VIII, p. 2). » Or qui songe à nier le rapport constant des actions humaines à leurs motifs ? Qui dans la pratique ne fait pas de continuelles inférences du caractère d’un individu et des circonstances, dans lesquelles il se trouve, à ses actes ? Donc, en fait, personne ne croit à la liberté.

D’où vient donc l’entêtement des hommes à affirmer le libre arbitre en paroles ? Précisément de ce que les hommes font ce que M. Rabier attribue, en un autre sens, il est vrai, à David Hume lui-même. Ils sont dupes de la sensation qui répond à l’habitude, ils la transportent aux choses, l’objectivent et croient saisir entre les phénomènes des connexions nécessaires. Comme, lorsque nous agissons, nous ne sentons pas cette connexion nécessaire entre les motifs et notre acte, connexion que nous imaginons à tort dans les choses externes ; nous prétendons distinguer entre la volonté humaine et les opérations de la nature. Mais c’est là le résultat d’une illusion. « La nécessité d’une action, qu’il s’agisse de la matière ou de l’esprit, n’est pas, à proprement parler, une qualité dans l’agent, mais bien dans un être intelligent et pen-