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les choses qui en sont l’occasion. La critique a précisément pour effet et pour fin de détruire ces illusions en en montrant l’origine.

Les preuves abondent. « Quand l’homme a observé quelques cas de conjonction constante entre deux phénomènes, dit Hume, il affirme qu’ils sont en connexion. Quel changement s’est donc produit pour donner naissance à cette nouvelle idée de connexion ? Aucun, si ce n’est que l’homme sent maintenant que ces événements sont en connexion dans son imagination, et qu’il peut prédire l’existence de l’un de la présence de l’autre. » (Enq. conc. Hum. Underst., sect. VII, p. 2). Il n’y a là rien de plus qu’une association d’idées, à laquelle s’ajoute une sensation ; je n’y trouve pas la conscience, l’intuition de la connexion causale. David Hume n’admet pas que cette intuition soit possible, il le dit et le répète : « Quel exemple plus frappant de l’ignorance surprenante (of the surprising ignorance) et de la faiblesse de l’entendement ! Toutes nos recherches, en matière de fait, portent sur les causes, et si imparfaites sont les idées, que nous nous en formons, qu’il est impossible de donner une juste définition de la cause, qui ne soit tirée de quelque chose d’extérieur et d’étranger à elle… Ces deux définitions (1o par la connexion constante des phénomènes semblables ; 2o par la transition habituelle de l’idée du phénomène antécédent à l’idée du phénomène conséquent) sont tirées de circonstances étrangères à la cause ; nous ne pouvons remédier à cet inconvénient, ni arriver à une définition plus parfaite, qui puisse dans la cause marquer (point out) cette circonstance qui lui donne une connexion avec son effet. Nous n’avons aucune idée de cette connexion, nous n’avons pas même une idée distincte de ce que nous désirons connaître, quand nous nous efforçons de la concevoir. » (Enq. conc. H. Und., sect. VII, p. 2). Est-ce là le langage d’un homme qui admet une expérience, quelle qu’elle soit, de la causalité ? L’habitude est une loi, rien de plus. Le sentiment de détermination qui s’y joint n’est qu’une illusion subjective, qui sans doute caractérise l’idée de causalité, mais du même coup la fausse.

David Hume fait si peu de l’habitude le cas privilégié, où l’expérience interne prend sur le fait la cause en tant que pouvoir déterminant, qu’il attribue à ces idées « incertaines et confuses » de pouvoir, d’énergie, de force une double origine, qui d’ailleurs l’une et l’autre les ramènent à de pures illusions subjectives. L’idée de pouvoir, de force vient tantôt de la sensation de l’effort, tantôt de la sensation qui accompagne l’habitude. Dans les deux cas elle est illusoire et n’exprime que notre tendance à prêter aux objets externes des sentiments analogues à ceux dont ils sont l’occasion en nous. « Aucun animal ne peut mettre les corps externes en mouvement, sans le sentiment d’un nisus ou effort ; et chaque animal éprouve un sentiment (sentiment or feeling) au choc d’un objet externe qui est en mouvement. Ces sensations, qui sont purement animales, et dont nous ne pouvons tirer aucune inférence à priori, nous sommes enclins à les transférer aux objets inanimés, et à supposer qu’ils ont quelques (feelings) sentiments analogues, quand ils