Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 19.djvu/240

Cette page n’a pas encore été corrigée

VARIÉTÉS


LA CAUSALITÉ D’APRÈS DAVID HUME

Dans ses Leçons de Philosophie (t.  Ier p. 292-293), M. E. Rabier montre ce qu’ont d’incomplet et d’inexact les expositions courantes de la doctrine de Hume sur la causalité. Mais n’a-t-il pas échappé à une erreur pour tomber dans une autre ? En éclairant vivement un point ne s’est-il pas obscurci tout le reste[1] ?

« Il est de tradition, écrit M. Rabier, de dire que Hume résout la question de l’idée de cause en niant purement et simplement cette idée dans ce qu’elle a de propre, et en la ramenant à la simple idée de succession constante, laquelle s’explique aisément par l’association des idées. Nul, au contraire, n’a distingué ces deux idées avec plus de soin et de précision… La répétition des expériences peut nous donner seulement l’idée de succession ou de conjonction constante. Mais l’idée de conjonction constante n’est point l’idée de connexion nécessaire ou de causalité ; comment donc passons-nous de cette idée à celle de connexion nécessaire ? Il n’y a pas, suivant Hume, de solution à cette question, tant qu’on se borne à considérer les objets. Mais il n’en est plus de même si nous considérons le sujet pensant. Sans doute la répétition des expériences ne montre rien de nouveau dans les objets mais elle produit dans le sujet quelque chose de nouveau, à savoir : une association nécessaire, une habitude déterminante de penser tel objet à la suite de tel autre. « Après une répétition fréquente il arrive qu’à l’apparition d’un des objets, l’esprit est determine par l’habitude à envisager son compagnon ordinaire. C’est cette impression ou détermination qui m’apporte l’idée de nécessité. Cette idée une fois acquise par le sentiment de ce qui se passe en nous, nous la projetons au dehors de nous, nous l’objectivons en transportant aux objets quelque chose de semblable à cette détermination nécessaire que nous sentons entre ces idées. » (Traité de la nat. hum. Tr. fr., p. 472.) » Hume est resté fidèle à cette théorie nous la retrouvons dans son Enquiry concerning Human Understanding, sect. VII (of the idea of necessary connexion) « cette connexion que nous sentons dans l’esprit, ou cette transition habituelle de l’imagination d’un objet à son compagnon ordinaire (to its usual attendant), est le sentiment ou l’impression, dont nous formons l’idée de pouvoir ou de connexion nécessaire. » Il est inutile de faire remarquer tout ce que gagne en finesse et en exac-

  1. N’ayant sous les yeux que les œuvres de David Hume, je ne puis affirmer qu’aucun commentateur n’ait relevé le rôle de l’habitude déterminante l’erreur, signalée par M. Rabier, n’en resterait pas moins une erreur courante, au moins en France.