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dans leurs conceptions, sans qu’ils vissent là, même ceux qui, comme Galilée, devaient souffrir pour la science, un ennemi à combattre, un élément à déraciner de leur cerveau. Bien au contraire, la plupart et les plus marquants font eux-mêmes de la théologie en même temps que de la science, et souvent sans paraître avoir conscience de la séparation des deux domaines. Napier, l’inventeur des logarithmes, et Newton commentent l’Apocalypse ; Otto de Guericke, qui a trouvé la machine pneumatique, joint à ses études sur l’air et le vide des recherches sur la place dans le monde du séjour des bienheureux et de celui des damnés ; ces exemples se multiplieraient facilement, et je ne cite pas les plus célèbres.

L’histoire de la science, non seulement pour le moyen âge, mais encore après la Renaissance, a donc beaucoup moins à insister sur des conflits dont le caractère est, à vrai dire, accidentel, que sur l’influence exercée sur les conceptions de chaque penseur par le milieu théologique où il vivait ; pour quelques-uns, comme Newton par exemple, cette influence est aussi faible que possible ; mais pour d’autres, elle est plus ou moins sensible, et pour la mécanique, en particulier, il est visible que le fameux mot de Bacon sur l’inutilité de la considération des causes finales est à peu près resté lettre morte jusqu’à Lagrange.

L’idée que le monde est l’œuvre d’une sagesse sublime, et que les lois qui régissent les phénomènes doivent pouvoir être formulées comme conduisant à des minima d’action, d’effort ou de dépense pour un effet donné, préoccupe chaque savant, depuis Galilée jusqu’à Maupertuis, et cette préoccupation n’est pas étrangère au développement d’une des plus belles théories mathématiques, celle du calcul des variations.

Lorsqu’une relation existe entre deux quantités, on obtient les valeurs minima que prend l’une, lorsque l’autre varie librement, en égalant à zéro la dérivée de la première par rapport à la seconde ; cette équation donne d’ailleurs les maxima aussi bien que les minima. Inversement, toute relation conduisant à une équation peut être considérée, comme exprimant les maxima aussi bien que les minima d’une fonction primitive. Il s’ensuit que les lois de la mécanique peuvent, en recherchant cette fonction primitive, être formulées comme représentant des minima ou des maxima ; mais ces conséquences purement analytiques n’ont aucun rapport avec l’idée de finalité dans la nature ; c’est ce qui résulte invinciblement de l’œuvre de Lagrange.

Un exemple topique est fourni par l’histoire de la loi de réfraction, d’après laquelle le rapport des sinus des angles d’incidence et de réfraction est constant ; Fermat a démontré que cette loi correspond à l’existence d’un minimum pour le temps employé par le rayon lumineux pour passer d’un point à un autre dans deux milieux différents, de même que la loi de la réflexion correspond également, comme l’avait déjà remarqué Héron d’Alexandrie, à un minimum pour le temps ou le chemin parcouru dans un seul milieu.

La démonstration de Fermat suppose d’ailleurs que la vitesse de la