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ANALYSES.e. mach. La mécanique et son développement.

une critique aussi approfondie et aussi juste de la valeur de ces principes et de ces méthodes, enfin un résumé aussi lumineux de l’histoire de leur développement.

L’originalité particulière de cet ouvrage consiste à faire ressortir la tendance constante de la science, qui est d’obtenir la plus grande économie possible de travail intellectuel, en comprenant sous des formules de plus en plus générales et commodes, mais toujours précises, soit les faits d’expérience immédiate, soit les relations établies par le raisonnement entre les éléments déterminatifs de ces faits. Le rôle du raisonnement ne doit pas faire illusion au reste ; son but est de dispenser de faire de nouvelles expériences, mais il repose toujours lui-même implicitement ou explicitement un l’expérience, et si la simplicité des formules générales auxquelles on s’est élevé est de nature à les faire regarder comme susceptibles d’être posées a priori sur des fondements uniquement métaphysiques, aucune tentative dans ce sens n’est capable de résister à la critique.

Aucun, pour ainsi dire, des penseurs dont les travaux ont constitué la mécanique, n’a complètement évité l’écueil de la métaphysique, et leurs théories laissent, toutes, prise aux judicieuses remarques du Dr Mach. Je ne puis entrer dans le détail, car il n’est guère aucun point sur lequel il n’y aurait à signaler les vues neuves et profondes de l’auteur, ainsi que les lumineux rapprochements qui lui sont dus. Je me contenterai d’appeler particulièrement l’attention de ceux qui voudront l’étudier, sur son exposition de l’origine du concept de masse, sur la façon dont il relie ce concept au principe d’égalité d’action et de réaction, ainsi que sur sa critique de la notion du temps absolu, qu’il considère à juste titre comme sans valeur scientifique, ni pratique.

Mais je regretterais de passer aussi rapidement sur un très curieux chapitre intitulé : Points de vues théologiques, animistiques et mystiques dans la mécanique. La position actuelle de la presque totalité des savants vis-à-vis de la religion est de nature à fausser complètement nos idées historiques sur le développement de la science ; quelles que soient les convictions personnelles des adeptes de celles-ci, au point de vue religieux, ces convictions n’ont guère d’influence sur le caractère de leurs travaux, à moins qu’ils ne prennent directement part au Kulturkampf ; l’éducation que tous ont reçue, le milieu intellectuel où ils vivent, leur fait naturellement considérer la science comme absolument étrangère à tout point de vue théologique, et s’ils jettent un regard d’ensemble sur son développement, son origine païenne, et le souvenir légendaire de persécutions célèbres, font penser que ce développement n’a été possible qu’au prix d’une lutte sans relâche contre les idées dont la religion chrétienne avait imbu les esprits.

En fait, rien n’est moins exact : ces idées théologiques, animistiques ou mystiques, constituaient au contraire le fonds intellectuel prédominant même après la Renaissance, et les penseurs du xvie et du xviie siècle ne pouvaient s’en abstraire ; elles ont donc joué un rôle essentiel