Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 19.djvu/236

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
232
revue philosophique

la faculté d’adapter ses idées à de nouvelles observations. Une trop grande flexibilité à l’égard de tout nouveau fait ne laisse pas s’établir une habitude de penser déterminée (feste Denkgewohnheit), — une manière trop arrêtée de former ses idées nuit à la liberté de l’observation. Dans le combat, dans le compromis entre le jugement et le préjugé, s’il est permis de s’exprimer ainsi, croît notre intelligence des faits (Einsicht).

« Nous nommons préjugé un jugement habituel que nous portons sans examen préalable sur un nouveau cas. » Le préjugé est, dit M. Mach, une sorte de mouvement réflexe dans l’intelligence.

Les actions de la société, dit l’auteur, reposent pour la plupart sur des préjugés. Si ces derniers cessaient subitement, elle se dissoudrait, sans secours et sans guide. Le savant ne subit une illusion considérable que lorsque la divergence du jugement habituel et des faits devient trop grande. Mais « quiconque travaille sur une base solide pourra facilement convenir d’une erreur, » a dit Helmholtz ; « on ne lui ôte que ce qui a été mal vu[1]. »

Considérons nous-mêmes et chacune de nos idées, — dit M. Mach en terminant, — comme un des résultats et en même temps comme un des objets du développement continu et général ; et avançons vaillamment sans nous laisser arrêter dans les voies que l’avenir nous ouvrira.

Eugène Schwiedland.
Vienne (Autriche).

Dr Ernst Mach. Die mechanik in ihrer entwickelung historisch-kritisch dargestellt.— Leipzig, Brockhaus, 1883 (gr. in-16. x-483 p.. LIXe volume de la Bibliothèque scientifique internationale).

L’Exposition historique et critique du développement de la mécanique, récemment publiée par le Dr Mach, professeur de physique à l’université de Prague, mérite d’être signalée comme un des meilleurs ouvrages de la Bibliothèque scientifique internationale. Si les développements mathématiques, qui étaient inévitables, nécessitent, pour sa lecture complète, des connaissances spéciales, la plus grande partie en peut néanmoins être étudiée avec profit par quiconque possède seulement les éléments de la science, et le philosophe de profession trouverait difficilement ailleurs une exposition aussi claire et aussi exacte des principes de la mécanique et des méthodes de cette science,

  1. L’intolérance est la caractéristique des écoles qui ont érigé leur système sur des hypothèses élevées en dogmes, qui ont commencé à déduire avant d’avoir suffisamment vérifié par l’induction ce dont elles ont tiré leurs déductions. Si l’on se fonde sur une hypothèse qu’on n’a acceptée que parce qu’elle nous semble garantie par une autorité ou parce qu’elle répond à ce qu’on désire pouvoir considérer comme étant réellement, toute fissure peut démolir toute la construction. (Helmholtz, Das Denken in der Medizin, 2 vol.  de ses « Vortraege und Reden ». Braunschweig, Vieweg, 1884.)