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Kant, M. Windelband ajoute immédiatement : Quoiqu’on ait commencé les travaux préliminaires longtemps avant lui (p. 119). Il ne manque pas d’accorder « qu’il est clair comme le jour que l’esprit de tous les philosophes grecs a subi les influences les plus vives des instincts moraux et artistiques » (p. 143). Il se prononce contre le pédantisme de Kant en fait de morale (p. 234). Il déclare que le dédoublement du caractère qui, suivant Kant, existe dans une édition « empirique » et dans une édition « intelligible » est absolument incompatible avec la responsabilité morale (p. 242). Il reconnaît que chez Kant l’empire de la liberté, c’est-à-dire la morale, est en opposition avec l’empire de la nature (p. 245). Il déplore que la philosophie critique, sortie d’une série très multiple de conceptions en partie antagonistes, se soit composée, d’une manière tellement compliquée et avec une terminologie tellement incertaine, qu’il est impossible d’en établir une notion qui aurait la valeur d’un fait historique indubitable (p. 286).

Nous croyons que c’est déjà assez pour un adhérent acharné de Kant. Seulement nous demandons, après cela, d’où vient cette sûreté apodictique, inébranlable, avec laquelle on préconise l’originalité de Kant et avec laquelle on le canonise comme le plus grand des philosophes ?

Nous n’avons plus besoin de citer un passage où M. Windelband déclare nettement que « beaucoup des doctrines de Kant se sont déjà écroulées et que d’autres vont s’écrouler » (p. 141-142). Nous venons de nous convaincre que le néokantisme n’est pas si formidable ou si formidablement arriéré qu’il en prend souvent l’apparence. Du moins, M. Windelband s’est informé de ce que disent les autres philosophes ; il respecte surtout les philosophes allemands, successeurs de Kant, les Fichte, les Hegel ; il n’a même pas honte — d’adopter une opinion qui rappelle vivement les principes de Schopenhauer, il ne la repousse pas, quoiqu’elle éveille, même la philosophie de l’inconscient, de M. Édouard de Hartmann (p. 192).

Dans un article intitulé : Normes et lois naturelles, il développe une conception de la liberté morale infiniment plus proche de Spinoza que de Kant, et la série de ses articles finit par un qui porte ce titre : « Sub specie æternitatis, une méditation », ajoutons le mot : mystique. M. Windelband est donc loin de jurer sur les paroles du maître. Après tout, on se débat, on proteste, et on est fils de son siècle. Et répétons que M. Windelband est un homme d’un talent décidé. Les Préludes annoncent donc des travaux philosophiques d’une certaine ampleur, issus des efforts de notre époque, seulement infectés plus ou moins de la maladie Kantienne et des conséquences d’un point de vue inacceptable comme celui de l’idéalisme subjectif. Abstraction faite de l’adoration superstitieuse pour le Grand-Maître de la philosophie critique, nous croyons pouvoir tendre la main, sur beaucoup de points, à M. Windelband et nous lui souhaitons de se débar-