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aristotéliciens. Quelquefois l’auteur recule jusqu’à Socrate. « Socrate et Kant », voilà ce qui exprime tout ce qu’il y a de philosophie au. monde (p. 117).

Après cela, on ne sera pas étonné de voir M. Windelband présenter Kant comme l’inventeur de l’idéalisme subjectif. Il n’emploie pas cette expression ; ce serait un peu trop fort. On trouvera difficilement dans le recueil de M. Windelband l’antithèse connue et facile à comprendre du réalisme et de l’idéalisme. M. Windelband dit qu’avant Kant on était assez naïf pour demander au philosophe comme à tout le monde, une connaissance qui devrait être l’image du monde ; Kant a renversé cette opinion ridicule pour la remplacer par la pensée normale. (p. 139). Ce changement des expressions ordinairement employées n’a aucune importance. M. Windelband, d’après ce que nous venons de reproduire, affirme que toute philosophie, jusqu’à Kant, était réaliste et que Kant est, en temps comme en rang, le premier idéaliste, ou il n’affirme rien du tout. M. Windelband veut-il soutenir qu’avant Kant, il n’y a pas eu de pensée sérieuse, déterminée par des lois logiques, fixées ; que le monde entier, les philosophes en tête, était plongé dans la superstition, dans une crédulité enfantine ou barbare, et que Kant a, le premier, mis au monde, dans le sens ordinaire du mot, « la pensée normale ? » En kantien déterminé, qu’il est, M. Windelband a, en effet, quelquefois laissé percer dans sa thèse cette nouveauté curieuse. Il dit que, suivant la Critique de la raison pure, « la tâche de la science est non pas de fournir une image du monde, mais d’opposer au jeu des idées la pensée normale » (p. 139).

L’autre partie de la thèse de M. Windelband est semblable à la première, et dénuée de toute circonlocution, elle est encore plus difficile à traduire. Il affirme presque que Kant est inventeur — de la morale. Et, en effet, croire à la morale tout extraordinaire du maître, est aussi familier, chez les kantiens, que d’être convaincu en général de son originalité sans pareille. Seulement, le côté moral de la thèse de M. Windelband est en contradiction tellement flagrante avec les faits, elle les renverse si complètement de fond en comble, qu’il est beaucoup plus difficile de déchiffrer nettement son opinion sur l’originalité de Kant en fait de morale, qu’en fait de philosophie théorique.

M. Windelband soutient que ce qui a régné jusqu’à Kant, à savoir « l’esprit grec (Griechenthum), c’est l’intellectualisme » (p. 118). Si cela, veut dire que la philosophie grecque était une science purement théorique, sans aucune morale, on ne comprend pas comment, un auteur comme M. Windelband, philosophe de profession, peut nous insinuer une idée si bizarre, surtout quand on se rappelle que M. Windelband attache la philosophie grecque à Socrate qui s’est borné à une réflexion purement morale. Si nous admettons que la philosophie grecque a eu sa morale, nous ne savons que faire de ce qu’affirme ensuite M. Windelband. Se plaçant au point de vue de l’histoire de la civilisation, il dit que le caractère du monde civilisé moderne, — bien entendu