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ANALYSES.windelband. Introduction à la philosophie.

directement, des sentiments et non de l’intelligence, il s’est appuyé sur une psychologie exacte, malgré le préjugé contraire, si fortement enraciné. Son idéal — il le répète à satiété — c’est la santé physique et mentale ; mais il reconnaît à plusieurs reprises (115 et 309, etc., etc.) qu’un corps parfaitement sain est rare, un esprit parfaitement sain de même et que par suite l’union des deux l’est encore plus : il se console en le réservant à l’avenir. J’ai bien peur que cette recherche de l’idéal qui, malgré sa forme concrète et positive, est celle du « souverain bien », ne ressemble à la recherche de la pierre philosophale. Le principe de l’évolution admis, ainsi que la nécessité de conformer la théorie de la conduite aux données des sciences, peut-être serait-il bon de procéder en morale comme en psychologie — par des monographies. L’étude approfondie de certains vices sociaux, de leurs causes et de leurs formes, analogues à celle de Morselli sur le suicide (Il suicidio, saggio di statistica morale comparata) et poursuivies dans des directions différentes, donneraient aux principes plus de corps et de solidité.

Th. Ribot.

Windelband. Præludien. aufsætze und Reden zur Einleitung in die Philosophie. (Fribourg en Br. et Tubingen, 1884, gr. in-8o, 325 p..)

Le kantisme a repris un nouvel essor en Allemagne. Sans en chercher ici les causes, nous nous bornerons à constater que l’enthousiasme qu’il soulève dépasse quelquefois toute limite. M. Windelband, dont nous signalons l’ouvrage, en fournit une preuve. Dans un des discours de ce recueil prononcé à l’occasion du centenaire de la Critique de la raison pure, M. Windelband déclare que cet ouvrage est le livre capital (Grundbuch) de la philosophie allemande, que c’est le triomphe de l’esprit allemand, qu’en ouvrant cet ouvrage ou un des ouvrages postérieurs de Kant, vous sentez immédiatement l’originalité absolue de la doctrine kantienne, et c’est cette originalité qu’il importe de signaler avant tout. « C’est la rupture avec toute philosophie antérieure, c’est la fondation d’une philosophie tout à fait nouvelle. »

Regardons par quels moyens on pourrait arriver à prouver une thèse si paradoxale : l’originalité inouïe d’un écrivain de la fin du xviiie siècle. Avant Kant, il n’y a, suivant M. Windelband, qu’une seule philosophie, et c’est déjà beaucoup qu’il accorde qu’on peut parler d’une philosophie avant Kant. Cette philosophie n’est ni une philosophie française, ni une philosophie anglaise, écossaise, hollandaise ou italienne. « Il n’y a, jusqu’ici, dit-il, que deux systèmes philosophiques le grec et l’allemand ; » — nous devrions presque traduire et le teutonique » (p. 117). M. Windelband affirme sérieusement et expressément que Giordano Bruno, Bacon, Descartes, Spinoza, Leibniz même, Locke, Condillac et Hume ne sont que des platoniciens ou des