Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 19.djvu/224

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
220
revue philosophique

principales douleurs de la civilisation actuelle », est plein d’observations et de réflexions excellentes sur le développement de l’alcoolisme, de la débauche, du militarisme, dont les avantages et les désavantages sont très nettement discutés, sur l’excès du travail intellectuel et l’oubli des soins du corps et sur ce qu’il appelle le « matérialisme » des classes pauvres, dû à cette fausse idée que le bonheur vient de la richesse.

C’est à une sorte de thérapeutique que le chapitre VIII est consacré. Comment diminuer la somme des douleurs et augmenter celle des plaisirs ? Comme l’idéal est la santé du corps et de l’esprit et que, par l’effet de l’hérédité ou d’autres causes, le nombre des hommes tout à fait sains est très petit (p. 309), tous les efforts de la civilisation doivent tendre à y remédier. « Je pense qu’un temps viendra où non seulement dans chaque ville, mais dans chaque village, on trouvera, au lieu d’un prêtre, un médecin institué par l’État ou la commune. Tant qu’il n’en sera pas ainsi, les douleurs de l’espèce humaine ne pourront pas diminuer sensiblement. » D’après un calcul qu’il établit en détail, l’Allemagne dépense environ 45 millions de marks pour les ministres du culte. Si l’on ajoute les frais de construction et d’entretien des églises, on atteint au moins 60 millions de marks (environ 75 millions de francs). Pendant que l’État et les communes dépensent cette somme, que fait-on pour les malades ? Des agglomérations importantes sont dépourvues de médecins : encore ceux-ci ne pouvant donner leurs soins gratuitement, beaucoup s’en passent, au grand détriment physique et intellectuel de la race. M. Schneider est d’ailleurs prêt à retirer sa proposition de remplacer le prêtre par le médecin, si l’on donne au premier une instruction médicale suffisante pour qu’il puisse soulager les hommes (p. 316).

Je n’insisterai pas sur les dernières parties du livre. Sous le titre « sort et destinée » l’auteur analyse fort clairement le rôle des facteurs subjectifs et objectifs, dans la constitution de l’individu et dans l’évolution de sa vie. Les chapitres consacrés à la persistance des joies et des douleurs après la mort et au « jugement dernier » (Weltgericht) n’entraîneront la conviction que chez bien peu de lecteurs, malgré les détails subtils et ingénieux qui s’y rencontrent. Il est bien clair que la doctrine de M. Schneider ne peut s’accommoder à une immortalité personnelle. Notre vie future est dans nos descendants et c’est en eux que doivent survivre nos plaisirs et nos douleurs. Avec l’Évangile qu’il cite fréquemment, mais en l’interprétant à sa manière, l’auteur soutient que chacun moissonne ce qu’il a semé, partout et toujours, quelles que soient les circonstances et la position sociale, en sorte que la justice ne perd jamais ses droits.

On a pu voir par cette courte analyse que M. Schneider a travaillé avec ardeur à la constitution de la morale évolutionniste et que son livre tient une place très honorable auprès de ceux qui ont déjà traité ce sujet. En faisant dépendre la conduite humaine, avant tout et