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ANALYSES.g.-h. schneider. Plaisir et douleur, etc.

l’intelligence de l’homme, comme on l’admet si souvent à tort, le sauvage ou le paysan inculte commettraient plus de sottises, seraient moins pratiques que l’homme très civilisé, et en particulier que le savant, la femme de même en commettrait plus que l’homme. Mais c’est juste le contraire qui arrive. Les plus grands savants sont le plus souvent les gens les moins pratiques et le paysan inculte sait, sans beaucoup de réflexion, en général, ce qu’il lui emporte le plus de faire, et rarement il se trompe dans sa subordination de l’inférieur au supérieur. Cela vient de ce que chez l’homme naturel et sain, les sentiments sont sains, en sorte qu’à chaque idée est lié un sentiment d’une intensité correspondante. Les rapports anormaux se rencontrent surtout chez les hommes cultivés, surtout chez ceux qui sont malades par leur faute ou par celle de leurs ancêtres (p. 204, 215).

En définitive, le sentiment dominateur n’est tel que parce qu’il est le plus fort ce qui importe, c’est que celui-là soit le plus fort qui doit l’être, qui est le plus parfait : Aussi « chaque individu comme chaque État a le droit de prédominer sur un individu ou un État moins parfait ; mais en même temps le devoir de se subordonner à un plus parfait (p. 266).

L’auteur est amené, chemin faisant, à résoudre à l’aide de son principe un certain nombre de questions spéciales. Nous n’en indiquerons qu’une. Un individu a des « idées révolutionnaires saines » : est-il de son devoir de les propager, malgré la volonté générale, et de sortir ainsi de la subordination ? Dans tout État bien constitué, chaque citoyen a le droit de propager ses idées, mais en se subordonnant aux lois existantes. Si ces idées gagnent un bon nombre d’adhérents, si leur justesse est évidente, alors la volonté individuelle deviendra la volonté générale qui tôt ou tard entraînera le gouvernement. Si, au contraire, elles gagnent peu d’adhérents, c’est une preuve que ces idées répondent peu à l’état de culture actuelle et aux besoins des citoyens, et par conséquent sont moins parfaites que les lois existantes. « Les agitateurs démocrates-socialistes de ces dix dernières années[1] avaient-ils le droit de propager leurs idées contre la volonté du gouvernement et de chercher à les ériger en lois ? Non. L’expérience a montré que ces idées n’ont pu trouver d’écho dans la majorité, surtout dans la majorité des esprits cultivés : ce qui a prouvé qu’elles répondaient, moins que les lois existantes, à l’état actuel de la civilisation et aux besoins du moment. Si le cas contraire s’était rencontré, certainement le gouvernement se serait rangé du côté de la majorité. » L’auteur ajoute d’ailleurs qu’il ne veut pas traiter plus longuement cette question spéciale. Sans insister plus que lui, il est clair que la question qu’il soulève n’est pas si simple dans la pratique et que l’on pourrait opposer beaucoup d’objections à sa thèse.

Le chapitre suivant (VII), consacré à rechercher « les causes des

  1. Page 267. Il ne faut pas oublier que l’auteur écrit en Allemagne.