Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 19.djvu/221

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
217
ANALYSES.g.-h. schneider. Plaisir et douleur, etc.

relativité, cette nécessité d’un contraste pour que le plaisir et la douleur soient sentis comme tels a sa cause dans ce fait, que nous ne sentons jamais un état nerveux déterminé, mais seulement les différences d’états, simultanées et successives, les contrastes, les arrêts ou accélérations du processus vital. Un état fixe unique n’arrive à la conscience qu’avec la sensation d’un état différent (p. 130). Le contraste étant donc indispensable pour que le plaisir soit senti, aussi bien que la douleur, il en résulte qu’un monde où règnerait le parfait bonheur est une impossibilité psychologique.

En abordant l’étude des plaisirs et des douleurs considérés comme guides de la conduite, l’auteur a consacré d’excellentes pages à combattre « cette erreur si répandue encore dans le grand public et qui date de Socrate ; c’est que l’intelligence par elle-même peut déterminer nos actes. Une idée par elle-même ne peut déterminer aucune manifestation volontaire ; c’est toujours d’un sentiment que naissent la volonté et les actes. Une passion ne vient jamais d’un défaut de connaissance ; mais elle a toujours sa cause dans ce fait que la conscience est concentrée d’une manière anormale et exclusive sur un sentiment déterminé qui, gagnant ainsi une intensité extrême, empêche les autres sentiments de se produire. Le haut développement de l’intelligence est souvent la cause que l’homme n’est pas pratique… La conduite pratique, droite, bonne, dépend bien plutôt de la santé du corps que de l’intelligence… Les passions sont bien moins répandues dans la population simple et saine des campagnes que chez les habitants très civilisés des grandes villes… La faculté de connaître ne sert le but de l’évolution qu’autant qu’elle éveille les sentiments appropriés à ce but et détermine ainsi indirectement la conduite ; mais celle-ci est toujours conduite directement par les sentiments. » Si la disposition physiologique de l’individu ne permet pas l’éveil de ces sentiments, l’intelligence reste totalement impuissante (p. 183 et suiv., 197 et suiv.).

À l’état normal, dit notre auteur, les sentiments ne se trompent jamais ; ils vont toujours à leur vrai but. Les erreurs ne viennent que d’un état maladif et surajouté à la nature par la civilisation. Il fait sur ce point un grand nombre d’observations justes et délicates. Son peu de foi dans l’intelligence comme guide de la vie l’amène à critiquer très longuement l’éducation actuelle des femmes et leurs tendances vers l’émancipation (p. 194 et suiv.). « Lorsqu’une jeune fille s’adonne à des occupations masculines et travaille, à la manière des hommes, au développement de son intelligence comme le font les institutrices, elle perd à la fois la façon de sentir de la femme et le tact féminin ; » et ces tendances, d’après notre auteur, ont pour cause quelque chose d’anormal, de maladif, en général sinon toujours, une mauvaise conformation du corps, particulièrement en ce qui concerne les organes du sexe féminin (p. 195)[1].

  1. Voir aussi pages 242 et suivantes.