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ANALYSES.g.-h. schneider. Plaisir et douleur, etc.

entier inspiré des Data of Ethics de Herbert Spencer, que notre auteur cite d’ailleurs à chaque instant. Avec le philosophe anglais, M. Schneider cherche le fondement de la morale dans la biologie. La théorie de l’évolution, qui a si vivement éclairé le domaine de la connaissance, n’a pas fait moins pour les phénomènes fondamentaux du plaisir et de la douleur. Grâce à elle, nous savons que les phénomènes psychiques ont exactement le même but que les phénomènes physiologiques et que les manifestations morphologiques ; ce but, c’est la conservation de l’espèce (Arterhaltung). Grâce à elle, nous savons aussi pourquoi le plaisir est lié aux états et actions qui favorisent le maintien et le développement de l’espèce, la douleur aux états et actions qui l’entravent ou la détruisent. Il est clair que les individus (et il a dû s’en trouver de tels à l’origine) chez qui la douleur était liée aux actions utiles, le plaisir aux actions nuisibles, ont dû périr par un vice interne de leur constitution. Il est clair aussi que l’accord entre le plaisir et tout ce qui est propre à favoriser les processus vitaux, entre la douleur et ce qui est propre à les entraver, a dû être un facteur du premier ordre dans la lutte pour la vie. Nous n’insisterons pas sur cette thèse bien connue, ni sur les objections de détail qu’elle soulève ni sur les réponses qui ont été faites. L’auteur examine en particulier (p. 36) comment il se fait que des lésions très graves d’organes internes, tels que le cerveau, le cœur, le canal intestinal, peuvent exister sans douleur, tandis que souvent le plus insignifiant contact produit dans les organes externes de vives douleurs. N’est-ce pas en contradiction avec le principe établi plus haut : toute action nuisible à la vie est accompagnée de douleur ? Cette contradiction est réelle ; mais il n’en pouvait être autrement. Par nature, les organes internes sont à l’abri de tout contact. Dès que cette condition n’est plus remplie, la mort s’en suit. Du moins, ce n’est que bien tard que l’art du chirurgien a trouvé moyen d’y rémédier. Mais à l’origine, cette désorganisation à bref délai a rendu impossible toute accoutumance, par suite toute adaptation transmissible par l’hérédité et fixée par elle. Après avoir passé en revue un assez grand nombre de faits analogues, l’auteur conclut que le principe de Spencer — le plaisir est le corrélatif de toutes les actions utiles à l’organisme, la douleur, le corrélatif de toutes les actions nuisibles — n’est vrai qu’avec certaines restrictions nécessaires.

Si les plaisirs et les peines d’ordre inférieur, les sentiments purement sensoriels (Empfendungsgefühle) sont liés intimement aux processus vitaux qui favorisent ou entravent la conservation de l’individu et celle de l’espèce (ce qui n’est pas contestable), en est-il de même pour les sentiments d’ordre supérieur ? (höhere Gefühle). On n’en peut douter. Seulement, dans ce cas, l’idée de l’utile et du nuisible entre en jeu, la connaissance d’un accroissement ou d’une diminution actuelle ou future des processus fondamentaux, du bien ou du mal de l’individu, de la famille, de la nation, de l’humanité. La satisfaction, le bonheur, l’espérance, la crainte, le chagrin sont des anticipations. « Tous les senti-