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fins de plus en plus lointaines et générales, enveloppe une complexité croissante de sentiments et d’idées.

Nos psychologues français, pour lesquels la théorie de la volonté n’est guère qu’un prétexte à entamer l’interminable discussion du libre arbitre, pourraient apprendre de notre auteur que cette partie de la psychologie n’est pas moins abondante en faits que les deux autres, s’ils consentaient à briser comme lui l’abstraction de la volonté pour étudier les actes volontaires sous toutes leurs formes et à tous les degrés de leur développement. Bien que M. Sully consacre de nombreux paragraphes à ce qu’il appelle le contrôle de soi-même (contrôle de l’action ; degrés du contrôle personnel ; contrôle des sentiments ; contrôle des pensées ; connexions des différentes formes de contrôle ; limites du contrôle ; physiologie du contrôle personnel), il n’a pas même jugé nécessaire de soulever le problème du libre arbitre ; il se contente d’indiquer dans une note les causes qui donnent à la volonté humaine une apparence d’indétermination et de liberté.

En somme, le livre de M. Sully est un excellent manuel de psychologie, le meilleur peut-être qu’on puisse recommander à quiconque désire se mettre au courant des résultats généraux de la psychologie expérimentale en Angleterre et en Allemagne. On y pourrait reprendre, sans parler encore de la prolixité du style, la multiplicité, parfois même l’incohérence des divisions, une sorte de discontinuité qui résulte sans doute du morcellement du texte en un trop grand nombre de paragraphes ; mais ce sont là légers défauts. L’objection la plus grave, c’est que le livre, quelque excellent qu’il soit, n’est qu’un manuel. On n’y reconnaît pas assez la pensée personnelle de l’auteur ; ceux qui savent combien elle est d’ordinaire ingénieuse et féconde s’étonneront de ne trouver dans un ouvrage de M. Sully que l’exposition des idées d’autrui ; et ils regretteront sans doute, comme nous, qu’un scrupule excessif de modestie l’ait empêché de nous faire admirer une fois de plus l’inventive originalité de son génie psychologique.

E. Boirac.

G.-H. Schneider. Freud und Leid des Menschengeschlechts, Eine social-psychologische Untersuchung der ethischen Grundprobleme (Plaisir et douleur de l’espèce humaine, etc.), in-8o. Stuttgart, 1883, Schweizerbart, xviii-380 p..

L’auteur dans son livre sur « la volonté humaine[1] » nous promettait un nouvel ouvrage destiné à lui servir de supplément, en interprétant la conduite de la vie d’après la théorie de l’évolution. C’est le sujet du présent livre.

Le premier chapitre, consacré à la position des principes, est tout

  1. Der menschliche Wille vom Standpunkte des Darwinismus ; pour le compte-rendu, voir le numéro de juin 1883, p. 770 et suivantes.