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G. POUCHET. — la biologie aristotélique

elles reparaissent elles feront tomber le lait, parce que le lait et le flux menstruel ont la même origine (Gen., IV, 119).

Nous sommes donc ici, comme nous l’avons plusieurs fois remarqué au cours de ce chapitre, en présence de deux doctrines. À côté d’Aristote, qui n’a pas été sans doute étranger au plan sinon à la rédaction primitive de la fin du traité De la Genèse, on devine un disciple, de ferveur médiocre pour la pure doctrine de l’École, un médecin très certainement. Sans doute il tient compte des comparaisons avec les animaux, et il les invoque à propos. Mais il a pour principal objectif l’homme, c’est-à-dire sa clientèle et les choses de son métier. Au point de vue purement spéculatif, le système d’Aristote des deux fluides n’était pas tellement éloigné de la vérité, puisque les menstrues accompagnent chez la femme l’ovulation ; et que, dans ce fluide séminal surabondant, nage l’ovule, la partie essentielle que le philosophe sait y deviner ; enfin c’est dans le sang même de la mère que le fœtus puise sa nourriture. Pour le disciple médecin, les menstrues ont un rôle un peu différent ; elles deviennent une élimination nécessaire, purifiante, d’après des idées qui rappellent l’Orient. Les menstrues versées dans la matrice pendant toute la durée de la grossesse, dans les seins après l’accouchement sous forme de lait, servent à alimenter le fruit. Ces deux doctrines mesurent toute la distance de l’homme de science profonde au praticien distingué. Jusqu’au temps d’Aristote tout au moins, la médecine — si avancée déjà dans la collection hippocratique — semblait être restée en dehors des spéculations biologiques des physiologues. Les deux branches du savoir humain se confondront dans la grande personnalité de Galien, qui cependant fera très peu d’emprunts à Aristote, citera ses œuvres moins souvent qu’on pourrait s’y attendre. Nous hésitons beaucoup pour notre part à reporter au Stagirite un passage du traité Des Sens (1, 5) où l’auteur montre la médecine servant à la fois d’introduction aux sciences de la vie et recevant d’elles à son tour une multitude de notions utiles. On ne cite aucun ouvrage d’Aristote sur la médecine, et dans ses œuvres telles que nous les possédons, il n’y est fait que de rares allusions. Quand par hasard nous y trouvons des passages, des chapitres médicaux, ceux-ci portent en quelque sorte un cachet spécial : ils ne restent plus dans l’harmonie générale des idées du maître, souvent même ils sont en pleine contradiction avec elles. S’il faut dire toute notre pensée, nous doutons que le chef de l’école péripatéticienne, quoique fils de médecin, dit-on, at jamais beaucoup apprécié l’art de guérir. Les philosophes devaient tenir les praticiens d’alors juste dans l’estime où les docteurs en Sorbonne tenaient, il y a deux siècles, les maîtres en chirurgie.

(La fin prochainement.)
G. Pouchet.