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G. POUCHET. — la biologie aristotélique

et l’Ours[1] chez qui cette particularité est restée légendaire. L’origine de ceci est que la mère, dans ces espèces, peut bien nourrir les embryons tant qu’ils sont de petite taille, mais ensuite ne le peut plus et ils sont alors évacués. En d’autres termes ils viennent au monde imparfaits parce que la mère n’a pas en elle la puissance de les nourrir tard, et ils sont imparfaits parce qu’ils viennent trop tôt (Gen. IV, 98).

La truie, seule parmi les digités, fait exception sous ce rapport et met bas des petits parfaits. Cet animal n’est pas au reste sans causer quelque embarras à notre philosophe, qui lui découvre à la fois et très justement, certains caractères des Digités et d’autres propres aux Fissipèdes. Comme animal digité la truie ne devrait pas mettre au monde des petits parfaits pouvant de suite se tenir sur leurs pattes, courir, etc. ; comme animal fissipède, elle ne devrait pas avoir un aussi grand nombre de petits. Les hésitations mêmes du naturaliste grec nous montrent quelle importance il attribuait à ces corrélations de formes qu’on a cru découvrir à notre époque et sur lesquelles nous le verrons bientôt asseoir sa classification des êtres vivants. Guidé par un esprit véritablement scientifique, il incline finalement à ranger le porc parmi les Fissipèdes plutôt que parmi les Digités, en quoi il a raison[2]. Mais alors il faut se demander pourquoi la truie n’a pas, comme tous les Solipèdes et la plupart des Fissipèdes, qu’un seul petit et même pourquoi elle est d’aussi petite taille. On doit admettre que, chez cet animal, la nourriture détournée du développement corporel se reporte vers une production plus grande de liquide séminal ; de là vient que la truie est pluripare et pourra conduire ses petits à complet développement, grâce à l’excès de nourriture accumulé dans son corps en raison même de sa petite taille et qui en fait comme un terreau fécond (Gen., IV, 96).

Il y a aussi des oiseaux dont les petits naissent incomplètement développés. Ce sont, en général, des espèces de petite taille et qui ont beaucoup d’œufs : la corneille, la pie, le moineau, l’hirondelle, etc[3].

  1. Il est peu probable que tout ce passage soit d’Aristote.
  2. À la vérité, il va trop loin et veut trop prouver en rapportant qu’il existe dans différents pays des pores solipèdes (Gen., IV, 96).
  3. « Si on arrache les yeux à une hirondelle quand elle vient d’éclore, elle en guérit parce que la lésion a été faite au cours du développement, tandis que l’œil arraché à l’animal complètement formé ne repousse pas. » C’est là certainement une fable. Toutefois il a pu arriver que de jeunes hirondelles aveuglées aient continué de vivre en laissant croire par leurs allures qu’elles avaient retrouvé la vue. Nous avons eu toutefois l’occasion de montrer, à propos de certains insectes aveugles des grottes des Pyrénées, combien il est difficile de décider, d’après l’allure général d’un animal, s’il jouit ou non du sens de la vue.