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G. POUCHET. — la biologie aristotélique

où le germe va cesser de se nourrir sur lui-même ; ils se for ment donc tout d’abord aux dépens de sa propre substance et plus tard seulement aux dépens de l’aliment extérieur (Gen., II, 105), c’est-à-dire ici du sang maternel. Ce passage, si nous l’interprétons bien, est important parce qu’il nous montre combien Aristote fait durer tard le développement du germe à ses propres dépens. On peut conjecturer qu’il lui assigne pour limite l’époque où l’œuf contracte avec la muqueuse utérine des rapports intimes et qui ne peuvent plus être rompus sans déchirure de celle-ci. Peut-être s’était-il renseigné par des dissections, peut-être n’était-il pas sans connaître le fait, souvent observé sans doute par les matrones athéniennes, d’œufs rejetés dans les débuts de la grossesse soit avec l’embryon, soit après fonte de celui-ci. Il semble faire allusion à des accidents de ce genre (Gen., III, 80), quand il parle de germes enveloppés d’une peau molle et qu’on désignait sous le nom de φθορά. Les nerfs, comme les os, dérivent directement du germe, tandis que les ongles, les cheveux, les sabots et les cornes auxquels il faut joindre le bec et les ergots des oiseaux se montrent tardivement et se forment aux dépens de l’aliment extérieur (Gen., II, 107) puisé dans la matrice chez les vivipares, dans le vitellus chez les ovipares.

La théorie de la coalescence des deux fluides séminaux mâle et femelle, quelque part d’ailleurs qu’on attribue à chacun dans la constitution du germe, n’expliquait pas comment certains animaux ont plusieurs petits, et comment plusieurs embryons peuvent ainsi sel former au lieu d’un seul d’un volume plus gros (Gen., IV, 72). En réalité la question n’a été définitivement résolue que 2000 ans plus tard par la découverte de Graaf. Mais on la discutait déjà. Certains physiologues prétendaient que les animaux sont pluripares quand plusieurs places de la matrice jouissent de la propriété d’attirer à elles le fluide séminal mâle et le divisent, d’où résulte la formation de plusieurs germes. Aristote combat cette opinion, mais sa doctrine ne ressort pas bien de ce passage probablement altéré. Il semble admettre tout simplement qu’une quantité de fluide séminal mâle et femelle nécessaire à la constitution soit d’un seul germe, soit de plusieurs, appartient en propre à chaque espèce animale au même titre que la taille ou telle autre particularité qui la distingue. Une petite espèce pourra être relativement beaucoup plus riche en fluide séminal et avoir plus de petits qu’une autre espèce plus grosse, où le fluide séminal sera plus abondant d’une manière absolue, mais juste suffisant pour la formation d’un seul embryon chez cette espèce (Gen., IV, 76). La surabondance de fluide d’un seul côté, mâle ou femelle, n’a aucun effet ; c’est absolument comme le feu qu’on peut