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n’a pas en cela d’autre vertu que la chaleur du sol auquel certains oiseaux et les ovipares terrestres abandonnent leurs œufs. En ce cas plus la saison est chaude, plus l’incubation est rapide (Gen., III, 37). L’excès de chaleur toutefois fait souvent tourner les œufs comme il fait tourner le vin (Gen., III, 37).

Aristote a vu les battements du cœur dès le troisième jour (Gen., III, 41-45) ; le cœur est donc le premier organe qui apparaisse, et il est seul tout d’abord. Comment admettre en effet que les autres échappent à la vue puisque plusieurs sont plus gros que le cœur ? Le cœur, premier apparu en vertu de l’impulsion communiquée au germe, fournit à son tour l’impulsion en vertu de laquelle se forme le reste de l’organisme.

Du troisième jour nous passons à une époque de l’incubation beaucoup plus avancée. Alors on voit partir, du cœur et de la grande veine qui en naît, deux cordons. L’un va à la membrane qui enveloppe le jaune (= circulation ombilicale), l’autre à l’espèce de chorion appliqué au dedans de la coquille (circulation allantoïdienne). Chez les Sélaciens ce second cordon et ce chorion n’existent point, l’œuf n’ayant pas de coquille proprement dite[1]. Quant au chorion des oiseaux il disparaît, se flétrit plus tard, pour laisser passage au poussin. Au cours du développement le vitellus s’est ramolli : les veines répandues à sa surface y viennent puiser une nourriture liquide, car l’embryon est une sorte de plante et comme telle ne peut se nourrir que de liquides. Le jaune d’ailleurs rentre finalement avec son cordon dans le corps du poussin avant le moment où il brise sa coquille. Et alors devant ce spectacle, une singulière et spécieuse conception se présente à l’esprit du philosophe : le jaune, c’est une partie détachée de la mère ; la coque elle-même qui enveloppe l’embryon est une véritable matrice ; cette matrice va donc renfermer à la fois la mère et son fruit par une sorte de renversement de ce qu’on observe chez les quadrupèdes vivipares où c’est la mère qui contient la matrice et le fruit.

Chez l’homme, le germe formé au bout de quelques jours par la conjonction des deux liquides séminaux mâle et femelle, comme on l’a vu, n’a au début qu’une sorte de vie végétale, végétative dirions-nous aujourd’hui[2]. Il est comme la graine portant en elle une nourriture qui remplit le rôle de lait. Ce germe, tel que l’imagine Aristote — et nous pouvons ajouter tel qu’il est réellement — contient en

  1. Voy. ci-dessus.
  2. « Ce germe n’est pas sans analogie avec un scolex en ce qu’on n’y distingue aucun organe et que cependant il grandit (Gen., II, 80). »