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par une sorte de cordon ombilical ayant servi à le nourrir et dont on ne retrouve plus la trace sur la coque (Gen., III, 32). Sans attribuer au Stagirite cette singulière méprise, il est assez difficile de l’expliquer. Est-ce encore les chalazes qui, quoique intérieures, ont pu y donner lieu ? ou l’observation, dans le corps de l’oiseau, de l’oviducte tordu au-dessus de l’œuf arrivé presque au bout de sa course ? ou bien encore les prolongements que présentent parfois certains œufs, prolongements revêtus d’une coque moins dure ou tout à fait molle.

Aristote semble savoir que tous les œufs sont clairs[1] par origine (Gen., III, 71) et ne deviennent féconds que si le coq a coché en temps utile (Gen., III, 75), c’est-à-dire avant que le blanc ne se soit séparé du jaune (Gen., III, 71), puisque notre philosophe croit que celui-là est une sécrétion de celui-ci. Il ignore les fonctions de l’oviducte, mais à part cela ses vues sont parfaitement exactes. Il s’élève contre l’opinion de ceux qui voyaient, dans les œufs ovariens de la poule, des résidus de fécondations antérieures. On pourra se convaincre de la fausseté de cette doctrine, dit-il, en examinant des poussins ou des petites oies ; on trouvera qu’ils ont déjà des œufs dans le ventre ; ces œufs sont le principe des œufs clairs (Gen., III, 18), si le liquide séminal du mâle ne vient pas à temps en faire des œufs féconds.

« Il faut toujours un certain temps pour que le germe se constitue par le mélange des deux liquides séminaux. Chez la femme plusieurs jours sont nécessaires. L’accouplement des insectes n’est aussi long que parce qu’il dure tout le temps que mettent les germes à se former (Gen., I, 101) : la preuve en est que la femelle dépose aussitôt ses œufs ou mieux ses scolex, car tous les animaux ne pondent pas des œufs. Les Insectes et beaucoup de Testacés se produisent par des scolex (Gen., II, 6). » Ce nom avec le sens que lui donne Aristote, n’a aucun équivalent dans notre langage scientifique moderne et le mot « larve » le rendrait imparfaitement. Nous croyons préférable de le transcrire. Il désigne souvent tout à la fois l’œuf et l’être qui en sort. Aristote tombe ici dans une grave confusion. Comme nous l’avons vu faire pour les reins et les testicules, il méconnaît les œufs dès que ceux-ci ne se présentent pas avec les caractères généraux des œufs des oiseaux, avec une coque, un albumen et un vitellus, ou quand il croit tout au moins y retrouver ces parties, comme dans l’œuf des poissons téléostéens. Enfin beaucoup de Testacés naissent aussi par genèse spontanée ; il en sera reparlé plus tard.

  1. Voyez, sur les œufs clairs, p. 377, nº 2 ; et de longs détails, Hist. anim., VI, vii.