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G. POUCHET. — la biologie aristotélique

nom qu’on leur donne encore aujourd’hui communément[1]. Il n’est pas douteux que l’auteur, sans doute quelque médecin, dont la main se retrouve dans plusieurs passages relatifs à la tératologie, n’ait eu tout le loisir d’examiner un ou plusieurs sujets atteints de la malformation qu’il décrit si bien (Gen., IV, 84).

« On dit parfois que des enfants viennent au monde avec une tête de bélier ou de bœuf ; inversement on parle de veaux nés avec une tête d’enfant, ou de chevreaux ayant une tête de bœuf. » Ces propos, qu’on tenait à Athènes, s’entendent encore de nos jours dans les classes peu éclairées de la société. L’auteur du traité De la Genèse marque bien qu’il s’agit ici de simples « ressemblances » et nullement de monstres participant à la fois de deux espèces, comme suffirait à le prouver, dit-il, la durée différente de la gestation chez l’homme, la brebis, le chien, le bœuf. L’argument est en effet très juste et répond d’avance aux imputations de bestialité ou d’accouplements irréguliers entre animaux, qu’on devait invoquer sans doute en ce temps-là pour expliquer ces prétendues ressemblances et que l’ignorance entretient encore au fond de nos campagnes. La Nature, dit l’auteur aristotélique, agit tout simplement ici un peu comme ces physionomistes, qui arrivent à dégrader progressivement le visage de l’homme en celui de tel ou tel animal. On voit que le procédé de caricature, qui a fait la célébrité d’un procès politique sous Louis-Philippe, n’est pas nouveau ; c’est celui qu’emploie Lavater dans ses Essais sur la Physiognomie pour nous montrer comment on peut ainsi descendre par dégradations successives de la tête de l’Apollon du Belvédère jusqu’à celle d’un crapaud.

Les organes intérieurs présentent des anomalies non moins fréquentes que les membres ou le visage ; ils peuvent être déformés ou manquer, déplacés ou en nombre trop grand. On comprend qu’il ne s’agit plus ici de l’homme, mais seulement des animaux chez lesquels ces anomalies devaient d’autant plus fixer l’attention que les prêtres avaient l’étroit devoir de les observer dans les sacrifices. Aussi l’énumération en est-elle longue. Et d’abord on n’a jamais vu d’animal sans cœur, tandis que la rate manque souvent, d’autres fois elle est double. Le rein peut être unique. Aucun animal n’a jamais été vu non plus sans foie, mais ce viscère est dans certains cas plus ou moins incomplet. D’autres bêtes parmi les espèces qui ont une vésicule du fiel ne la présentent pas. Même l’inversion des viscères est connue d’Aristote ; il signale des exemples où le foie a été trouvé à gauche

  1. Voir de nombreux exemples dans la science et celui tout récemment publié par M. le Dr Pozzi.