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La chèvre et la brebis mettent souvent bas des monstres. Ils sont encore plus fréquents chez les animaux digités et qui ont beaucoup de petits, comme le chien. Leur formation dans ces espèces est d’autant plus aisée que les petits viennent au monde avant le complet développement et très peu semblables à leurs parents. Faisant allusion sans doute à quelque théorie en vogue, Aristote se demande jusqu’à quel point la faculté de mettre plusieurs petits au monde est en rapport avec l’apparition de membres supplémentaires, et celle de n’avoir qu’un seul petit avec les monstruosités par défaut (Gen., IV, 65)[1]. En fait, il n’est pas rare, répond le philosophe, de voir des enfants avec plus de cinq doigts à la main et d’autres qui n’ont qu’un seul doigt.

Les hermaphrodites ne sont pas oubliés. Certains êtres viennent au monde avec des organes mâles et des organes femelles : on a observé ceci chez l’homme[2] et chez le bouc où ces sortes de monstres ont même un nom, on les appelle τραγαινα. À signaler encore, bien qu’elle ne soit probablement pas d’Aristote, une description très intéressante de l’hypospadias, avec cette remarque que, quand cette anomalie se complique de la non-présence des testicules, l’individu a tous les caractères d’un hermaphrodite. C’est au reste le

  1. Il semble que la réponse directe à cette question se trouve plus loin dans la suite de l’étude tératologique que nous résumons, dans un complément ajouté sans doute par une main étrangère et qui se relie assez mal au reste : « l’existence de membres surnuméraires y est rapportée à la même cause que la formation des jumeaux (Gen., IV, 79), à la présence dans le germe de plus de matière que la nature de l’organe ne l’exige (Gen., IV, 79). Dès lors l’organe devient trop gros, hypertrophique. Mais il peut arriver également qu’une division se produise dans cette substance en excès, au cours du mouvement (vital) qui lui est imprimé par l’acte de la fécondation ; alors il se formera plusieurs membres au lieu d’un seul, comme ces tourbillons qu’on voit dans les fleuves se dédoubler contre un obstacle et former deux tourbillons animés du même mouvement. La substance détournée de sa direction primitive et du mouvement auquel elle devait tout d’abord obéir, n’en continue pas moins de participer à la formation de la partie pour laquelle elle était en surcroît (Gen., IV, 81). Quant à la monstruosité par défaut d’un membre ou d’une partie de membre, elle doit être rapportée aux mêmes causes qui font que l’être entier s’étiole ; et il existe dès l’origine du développement du germe beaucoup de ces causes d’étiolement (Gen., IV, 81). »
  2. « Dans les cas d’organes sexuels doubles, un des organes est légitime, l’autre est en surcroît : on voit, en effet, qu’il est généralement moins développé, comme une partie non naturelle, comme une sorte d’excroissance (Gen., IV, 80). Si le principe formateur (mâle ?) (κρατησαντος τοῦ δημιουργοῦντος) domine absolument, les deux organes seront semblables ; mais s’il ne domine qu’en partie et est dominé en partie (par le principe femelle ?), il se formera un organe mâle et un organe femelle (Gen., IV, 81). » Ce passage, on le voit, n’est pas en parfait accord avec la doctrine aristotélique, tant sur la production des sexes que sur celle des monstres. Voy. note précédente.