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la tératologie.

Avec l’étude des monstres reparaît Aristote tout entier, traçant les voies à la tératologie, qui n’a de moderne que le nom, comme tant d’autres branches de la biologie. Il nous donne l’opinion de Démocrite, comme il fait presque toujours, mais le passage probablement altéré demeure fort obscur. Tout ce qu’on peut comprendre, c’est que Démocrite croyait à la préformation des monstres, en ce sens qu’ils résultent des conditions défavorables dans lesquels les produits mâles et femelles se sont rencontrés dès l’origine. Aristote, fidèle à sa doctrine trophique, reporte l’origine de la monstruosité au cours du développement du germe. Autrement tous les individus d’une même portée, chez les individus pluripares, devraient être monstrueux à la fois. N’oublions pas qu’on n’avait alors aucune idée de l’individualité de l’ovule : on croit que la femelle émet simplement, comme le mâle, un liquide qui devra se fractionner pour fournir plusieurs germes. Or Aristote constate que le nombre des monstres est proportionnel au nombre des embryons[1], non à celui des fécondations, comme cela serait le cas dans l’hypothèse de Démocrite. De là leur grande rareté chez l’homme[2] et les espèces qui n’ont qu’un petit, leur fréquence au contraire chez les pluripares, chez les oiseaux à cause du nombre de leurs œufs et particulièrement chez la poule qui pond toute l’année (Gen., IV, 58).

  1. « S’il naît plus d’enfants monstrueux en Égypte qu’ailleurs c’est que, dans ce pays, les femmes ont beaucoup d’enfants (Gen., IV, 61). » Il est possible que la maladie éléphantiasique, dont il n’est pas question dans les traités hippocratiques, ait donné lieu à cette opinion, les déformations dues à cette affection cutanée ayant très bien pu passer, aux yeux des voyageurs, pour des monstruosités.
  2. Dans un autre passage de cet exposé tératologique, mais qui semble d’un auteur différent, on lit : « Chez l’homme, contrairement à ce qui existe chez les animaux, les monstruosités sont beaucoup plus fréquentes sur les enfants du sexe mâle que sur ceux du sexe femelle (Gen., IV, 99). » La proportion inverse a été constatée de nos jours, et il n’existait d’ailleurs dans l’antiquité aucune source d’information certaine pour l’établir. Cette différence en faveur des mâles est attribuée, dans le passage en question, à ce que l’homme a plus de chaleur, se remue davantage dans le sein de la mère et par suite est plus facilement blessé. C’est, comme on le voit, une nouvelle doctrine de la monstruosité. Le sexe femelle est d’ailleurs déjà par lui-même une « infirmité » (ἀναπηρια, Gen., IV, 101), mot profond repris par Michelet.