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G. POUCHET. — la biologie aristotélique

parce qu’elle ne provient pas de deux parents de même sorte (Gen., II, 126).

L’explication d’Aristote n’est pas beaucoup plus satisfaisante, mais qui donc pourrait, dans l’état de nos sciences actuelles, en donner une ? Notre philosophe fait tout d’abord cette très intéressante remarque que les deux espèces, âne et cheval, sont déjà peu fécondes par elles-mêmes, ont déjà en quelques sorte une tendance naturelle à la stérilité[1]. Elles ne portent qu’un petit ; la femelle n’est pas en tout temps apte à recevoir le mâle ; l’ânesse a tendance à rejeter la semence du mâle après le coït en urinant, à telles enseignes qu’on la fouette pour l’en empêcher ; l’âne d’ailleurs est un animal essentiellement froid, qui a besoin des pays chauds ; il ne réussit pas chez les Scythes, ni chez les Celtes au nord de l’Ibérie ; en Grèce il faut avoir la précaution de faire les saillies au printemps afin que l’ânon vienne au printemps suivant et ne souffre pas tout d’abord de la mauvaise saison[2]. Pour ces motifs et bien d’autres encore le mulet doit être infécond. À la vérité on a vu des mules concevoir, mais elles n’arrivent pas à terme et produisent ce qu’on appelle un γιννος, espèce d’être pouvant d’ailleurs provenir de l’accouplement régulier soit de la jument, soit de l’ânesse, et qui a aussi des traits de ressemblance avec certains cochons de lait difformes[3]. Les « ginnos » étaient probablement pour la plupart, des monstres appartenant au genre Cyclope, assez commun en effet dans l’espèce chevaline, mais beaucoup plus dans l’espèce porcine. La tératologie, comme on le voit, a aussi sa place dans la collection aristotélique (Gen., II, 125-139) et nous y reviendrons plus loin.

Les hommes peuvent être aussi parfois stériles de naissance, et le traité De la Genèse décrit à ce propos très exactement les Cryptorchides, dont les testicules ne descendent pas dans les bourses et qui présentent toute leur vie le caractère d’eunuques (Gen., II, 121) par suite du relâchement des conduits spermatiques, comme on l’a dit plus haut (Voy. p. 175). Nous trouvons aussi dans ce passage une énumération des causes plus ou moins passagères qui peuvent produire la stérilité. Comme traits curieux de mœurs et de préjugés

  1. Il est dit à ce propos que si l’âne ne produit pas immédiatement après sa première dentition, il restera stérile.
  2. La nature froide de l’âne est encore démontrée par ceci : Si l’on fait saillir une jument pleine du fait d’un âne, par un étalon, celui-ci ne nuit pas à la portée ; tandis que si la jument pleine du fait d’un étalon est ensuite saillie par un âne, le froid de son liquide séminal nuit à la venue du poulain.
  3. À la même catégorie de monstres, d’après ce passage, se rattacheraient les nains.