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G. POUCHET. — la biologie aristotélique

davantage une humeur (φῦμα) comme celle des abcès, ni une sécrétion inutile (περίττωμα) comme l’excrément solide ou liquide[1], ni une lymphe (σύντηγμα)[2], ni un aliment (τροφή) pour une autre partie quelconque de l’organisme. C’est au contraire le dernier terme des transformations que subit le sang, qui est — on l’a vu — l’aliment par excellence des organes ; aussi les pertes séminales affaiblissent-elles autant qu’une hémorrhagie (Gen., I, 70).

Le sperme, en lui-même, est une écume, car il contient une grande quantité d’air chaud auquel il doit sa consistance. Quand cet air chaud l’abandonne, il se liquéfie rapidement, même par les plus froides nuits d’hiver ; c’était au temps d’Aristote la plus grande source de froid dont pouvaient disposer les expérimentateurs. Pour comprendre ce rapprochement du sperme avec une écume, il faut se reporter à la physique d’alors : tous les corps d’une faible densité et qui surnagent sont regardé alors comme « aériens » ; l’huile est de nature aérienne[3] c’est l’air qu’elle contient en elle qui la fait surnager, pour la même raison que l’écume et la « mousse » surnagent. Quand l’air abandonne la mousse elle ne tient plus, elle se liquéfie ; le sperme, en se refroidissant, perd à la fois sa coloration blanche et sa consistance, il est donc aussi une mousse, une écume. Aristote veut même que la divinité de l’accouplement, Aphrodite, ait tiré de là son nom, d’ἀφρός, écume.

Nous avons déjà signalé plus haut (p. 534) une autre étymologie du même genre, celle qui est donnée du nom du vieillard. Le physiologue a-t-il ici raison contre les poètes qui font d’Aphrodite l’écume personnifiée des flots ? La question peut avoir quelqu’intérêt pour l’histoire du Panthéon grec bien que l’exégèse moderne ait déjà fait justice, croyons-nous, de cette étymologie donnant tort aux poètes aussi bien qu’au physiologue.

Disons pour finir que le sperme en se desséchant, laisse, comme le mucus, une petite quantité de matières terreuses (Gen., II, 28-30), et qu’Aristote tout en signalant ces diverses propriétés, réfute les

  1. « Lesquels sont augmentés dans les maladies, tandis que la sécrétion spermatique est généralement supprimée » (Gen., I, 58).
  2. Il est assez difficile de dire ce qu’Aristote entend ici par « lymphe » : peut-être un résidu spécial, particulier (παρὰ φύσιν) des matériaux servant à la croissance (et à l’entretien du corps). Aristote nous dit en même temps que les lymphes ont une place définie, et il en tire même argument contre certains physiologues qui classaient le sperme comme lymphe précisément parce qu’ils le faisaient provenir de toutes les parties du corps (Gen., I, 57).
  3. Mais l’huile est moins légère que l’eau, c’est-à-dire moins fluide ; en effet, elle coule plus difficilement entre les doigts. « Léger » est ici l’opposé de « visqueux ».