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Comme on le voit, le point de départ d’Aristote, dans toute cette argumentation, est l’idée fort juste qu’il se fait de la nutrition, ou pour parler son langage, des coctions successives dont l’organisme est le siège et le résultat. Si les exemples qu’il invoque pour rejeter la pangenèse d’Empédocle prouvent peu ou ne prouvent rien, il a du moins la notion très claire que les matériaux du nouvel être se forment aux dépens de matériaux différents de ce qu’ils sont eux-mêmes. Au cours du développement, le sang ne provient pas du sang et la chair ne provient pas de la chair ; et si le sang, si les organes peuvent ainsi s’accroître aux dépens de substances d’une autre nature qu’eux, il n’est plus nécessaire d’invoquer, pour leur formation première, l’essence même de l’organe dont on les fait dériver. Les particules alimentaires qui vont former le liquide séminal de l’adulte, sont adéquates à celles qui vont former les autres parties du corps. De là la ressemblance toute naturelle du produit avec le procréateur, puisque tout ce qui passe en substance dans l’être, demeure en puissance dans le liquide séminal.

Le seul point qui reste douteux est de savoir si le liquide séminal ainsi constitué par l’apport des mêmes particules qui forment sans cesse l’organisme, sera simplement un principe matériel dont se façonnera le nouvel être, ou s’il contient au contraire exclusivement un principe moteur (Gen., I, 70), ou tous les deux à la fois (Gen., I, 13). On ne peut être plus catégorique et la question comme on voit est fort bien posée par le stagyrite. Pour nous, modernes, les produits sexuels mâles et femelles portent en eux les deux choses : un substratum matériel dominant dans l’œuf, un principe d’énergie dominant dans le spermatozoïde. Nous n’avons rien ajouté, comme on va le voir, à la science d’Aristote. Il reconnaît dans chaque sexe l’existence d’un produit sexuel particulier. Il y a donc un liquide séminal mâle (le sperme) et un liquide séminal femelle qui n’est autre que les menstrues de la femme. Du mélange intime de ces deux produits dans la matrice, se forme le germe (Gen., I, 17, 55). Dans les végétaux, la semence apparaît tout d’abord, sans fécondation, d’elle-même ; chez les animaux, elle a pour équivalent ce germe ou cet œuf produit par le concours des deux sexes, qui donnera un animal absolument comme la semence donne une plante. Étudions ces deux liquides séminaux.

Le sperme n’est ni un organe, ni une partie similaire[1] ; il n’est pas

  1. Ceci est en contradiction avec l’exposé d’anatomie générale si intéressant par lequel débute l’Histoire des animaux, et où le liquide séminal figure avec le lait à la suite des autres parties similaires. Voy. ci-dessus, tome XVIII, p. 532.