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G. POUCHET. — la biologie aristotélique

avec les parents, il oppose cet autre fait que l’enfant ressemble parfois à ses grands parents dont il n’a rien reçu. Il va même chercher un argument assez inattendu dans le monde végétal : la semence, dit-il, se forme en même temps que le péricarpe qui l’enveloppe, elle ne procède donc pas de lui ; et cependant la semence reproduira ce péricarpe semblable à lui-même. Ce n’est pas tout : Aristote, comme nous le dirons plus loin, connaît fort mal les métamorphoses des Insectes ; il en voit qui donnent des vers, des larves, sans savoir que ces vers deviendront insectes à leur tour, et il trouve une preuve nouvelle, décisive, que les produits sexuels ne sont pas un composé de gemmules émanées des divers organes des parents et portant en elles ressemblance avec ces organes, puisque les vers issus des insectes n’ont aucune analogie avec leurs procréateurs.

Mais peut-être, dit notre philosophe, on voudra remonter plus loin, expliquer la ressemblance des organes par celle des parties similaires, — nous voilà, on le voit, en pleine théorie cellulaire — examinons la question sous cette nouvelle face. Veut-on prétendre que les parties similaires, les tissus émettent ces gemmules, qui vont se condenser dans le produit sexuel ? on n’aura fait, dit Aristote, que déplacer le problème. Pourquoi s’arrêter ? Pourquoi ne les pas faire provenir aussi bien des éléments dont le mélange et la combinaison donnent naissance aux parties similaires, de même qu’à tous les corps naturels ? Mais admettons même pour un instant que les gemmules des divers organes soient condensées comme on le dit dans le liquide séminal mâle, comment n’y formeront-elles pas un petit être ? Et puis la femme a aussi son liquide séminal : en voilà deux ! Ce n’est pas tout. Aristote ignore nécessairement que les organes femelles représentent, au point de vue embryogénique, un état stationnaire ou détourné des organes mâles ; il ne voit les uns et les autres que dans l’absolu de leur différenciation finale et il demande où sont passées, si le produit est femelle, les gemmules des organes mâles du père. Négligeons ces détails, admettons que l’être nouveau, comme le veut Empédocle, va se former par moitié des gemmules (nous continuons d’employer le terme moderne) dérivées de ses deux parents. Encore faudrait-il expliquer, dit Aristote, comment cet être, dont vous nous montrez la formation, va se développer, grandir. Et si ses chairs, son sang s’accroissent aux dépens de l’aliment, c’est-à-dire de substances étrangères à lui, quoi donc empêche les chairs, le sang de se former d’abord aux dépens du liquide séminal, sans que lui-même soit chair ou sang ? Admettre que certaines parties de la semence sont déjà et tout à la fois nerfs et os ne dépasse-t-il pas notre entendement ?