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E. BEAUSSIRE. — principes et conditions de la moralité

être moral, à notre mauvaise tête, à notre cœur trop bon ou trop ardent, à notre manque de mémoire ; mais, lors même que, plus éclairés, nous pourrions y reconnaître la part de chacune de nos cellules les conséquences qu’elle entraîne ne laisseraient pas de se faire sentir dans tout notre être, par une impression unique et indivisible. Que nos cellules soient des organismes tout physiques ou qu’elles soient douées de conscience, la personnalité individuelle est attachée nécessairement à une conscience centrale, à un principe propre d’activité et de responsabilité dont rien n’atteste l’existence dans la personnalité collective.

VIII

La responsabilité individuelle tient une place très restreinte au milieu de toutes les forces naturelles et de toutes les influences humaines qui la limitent de toutes façons et qui souvent la réduisent à néant. Elle disparaît dans les maladies mentales ; elle subit chaque jour l’interruption du sommeil ; elle n’est jamais entière dans la veille. Elle s’agrandit toutefois singulièrement si nous considérons que l’individu, par l’échange constant de l’action et de la réaction, rend au dehors l’équivalent de ce qu’il a reçu du dedans et à l’avenir ce qu’il doit au passé. Nul ne sait jusqu’où s’étend, dans le temps et dans l’espace, la part que les autres hommes, soit par des actes individuels, soit par des influences sociales, peuvent revendiquer dans chacune de nos actions ; mais nul ne sait aussi la part que nos discours et nos exemples peuvent avoir aux actions des autres hommes. L’hérédité accumulée d’un nombre infini de générations nous a faits ce que nous sommes un nombre également infini de générations recevra de nous ce dépôt héréditaire, modifié, transformé par la façon personnelle dont nous aurons vécu. Nous sommes façonnés, dans tout le cours de notre vie, par l’action irrésistible du milieu ambiant, par notre famille, par la société dont nous faisons partie, par tous les hommes avec lesquels le hasard ou notre choix nous met en rapport, et en subissant ces diverses influences nous subissons par ricochet l’action de toute la série des causes qui ont concouru à les produire ; nous sommes nous-mêmes un des éléments de cette série de causes et, par un semblable ricochet, notre influence ira bien au-delà du petit cercle où se passe notre vie individuelle. Nous avons ainsi une part de responsabilité dans la