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propre de chaque individu ? Ici, nous l’avons reconnu, les états de conscience ne sont aussi, pour la plus grande partie, que des résultantes. L’autonomie n’est jamais absolue. La responsabilité n’est jamais entière. Mais n’y a-t-il, en aucun degré, aucune autonomie, aucune responsabilité personnelle ? La conscience proteste contre une telle supposition, que contredisent les observations mêmes où disparaît toute responsabilité avec toute possession de soi-même. S’il y a des cas où l’individu n’est plus responsable de ses actes, c’est qu’il y en a où la responsabilité s’accuse en un degré plus ou moins manifeste et ce degré lui-même est déterminé par la part personnelle qui lui appartient ou qui semble lui appartenir dans ses actes. On peut se tromper dans l’appréciation de la responsabilité, pour soi-même comme pour autrui ; mais on ne se trompe pas sur le principe. Toute conscience sait distinguer, d’une manière générale, entre le conscient et l’inconscient, le volontaire et l’involontaire, le responsable et l’irresponsable. Toutes les idées morales sont liées à cette distinction ; elles seraient renversées, s’il n’y avait nulle part, dans aucun acte, que la résultante, soit des forces extérieures dont l’agent subit l’influence, soit même des forces internes dont son individualité n’exprimerait que la combinaison et le concours.

La responsabilité, pour une personnalité collective, est en réalité encourue par ses membres ils sont atteints individuellement dans leurs personnes et dans leurs biens, pour les fautes de)a communauté ou de ceux qui la représentent

Quidquid delirant reges, plectuntur Achivi.

La responsabilité sociale peut sans doute, dans certains cas, être supportée exclusivement par le capital social, mais ce capital lui-même représente une somme d’intérêts individuels et ses brèches ne peuvent être réparées, directement ou indirectement, que par des sacrifices individuels. L’assimilation complète de l’individu à une société exigerait que sa responsabilité se partageât également entre ces petites individualités cellulaires dont il ne serait que l’agrégat ou la résultante. Rien dans l’observation psychologique ou physiologique, rien dans la conscience que nous avons de notre responsabilité, rien dans l’expérience de ses sanctions de toute sorte, naturelles ou sociales, ne justifie une telle hypothèse et ne lui donne même la moindre vraisemblance. Nous rejetons, avec plus ou moins de raison, une grande partie de notre responsabilité sur les causes extérieures ou intérieures qui concourent à la détermination de nos actes ; si nous ne pouvons pas la faire retomber entièrement sur autrui, nous la renvoyons volontiers à telle ou telle partie de notre