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E. BEAUSSIRE. — principes et conditions de la moralité

degrés divers, très importante encore dans certains cas, presque nulle dans d’autres, est celle de l’agent individuel ou personnel. La conscience que nous avons, dans l’état normal, de notre responsabilité, proteste contre un déterminisme absolu, qui ne laisserait plus même subsister une responsabilité collective ; car la collectivité ne se compose que d’individus, dont aucun, dans aucun de ses actes, n’échapperait au déterminisme. Nous avons le droit de revendiquer notre responsabilité personnelle, comme nous avons le devoir d’en subir les conséquences ; mais nous avons aussi le droit et le devoir d’en reconnaître les bornes. Chaque conscience a le sentiment plus ou moins net de ces bornes, alors même qu’elle les exagère pour se disculper, ou qu’elle les diminue pour ajouter à son mérite. Elle s sont l’un des objets sur lesquels doit se porter avec le plus de soin l’attention du psychologue, du moraliste, du criminaliste et de l’historien.

VII

Cette responsabilité collective, que nous ne saurions méconnaître à côté de la responsabilité individuelle, a-t-elle pour condition une personnalité également collective ? Les lois positives reconnaissent une telle personnalité. Elles attribuent des droits et des devoirs à des associations, qu’elles appellent des personnes morales ou des personnes civiles. Les nations elles-mêmes, pour le droit des gens, ont le caractère de personnes morales. En dehors des règles étroites du droit positif, national ou international, nous personnifions volontiers des collectivités de toute sorte. Nous leur attribuons toutes les conditions, soit de la vie physique, soit de la vie intellectuelle et morale. Nous les voyons naître, se développer et mourir, comme des individus. Elles ont leurs différents âges, comme chaque individu, une enfance, une jeunesse une maturité, une vieillesse et une décrépitude. Elles ont aussi leurs caractères, leurs idées, leurs passions, leur volonté tour à tour ferme et vacillante. Ce n’est pas par de pures métaphores que nous leur prêtons à la fois et un corps, avec une tête et des membres, et une âme, avec toutes les facultés de l’âme individuelle, et que ce corps et cette âme nous apparaissent avec les mêmes maladies ou dans le même état de santé que nous déplorons ou que nous bénissons en chacun de nous.

Il est même certaines collectivités, mal définies autrement, que nous ne pouvons bien concevoir que sous la forme de la personna-