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VI

Nous tenons notre corps et notre âme elle-même de nos parents et de toute la série de nos ancêtres. Nous venons au monde avec une constitution physique et morale, que nous pourrons modifier plus tard, en bien ou en mal, par l’action propre de notre volonté ; mais déjà, au moment où nous voulons, consciencieusement et résolument, nous en rendre maîtres, elle n’est plus telle que nous l’avons reçue en naissant. Mille influences de toutes sortes, le climat, l’habitation, la nourriture, l’éducation domestique, les discours et les exemples du dedans et du dehors, les mœurs et les préjugés qui dominent autour de nous, l’état social du pays où nous vivons, les circonstances particulières au milieu desquelles se sont passées nos premières années, les habitudes que nous nous sommes faites par des actes personnels où la volonté consciente n’a encore qu’une faible part, ont contribué à façonner, pour toute la suite de notre vie, notre nature physique et notre nature morale, et nous ne pourrons plus réagir que dans une mesure très imparfaite contre le pli qu’elles ont contracté aussi bien que contre leurs dispositions héréditaires. Dans le temps même où nous pouvons le mieux agir par nous-mêmes, toutes ces influences agissent sur nous et il n’est aucun âge, aucun état de la vie, chez les plus forts, chez les meilleurs, où la part de l’action personnelle soit la plus considérable.

L’autonomie absolue de la volonté, dans la santé également parfaite de l’âme et du corps, n’est donc qu’un idéal dont la personnalité et la responsabilité réelles n’approchent que dans un degré toujours très éloigné. Les lois religieuses et les lois civiles fixent, d’une manière générale, l’âge où est censée commencer, soit la responsabilité morale, soit la possibilité d’exercer des droits civils ou politiques. Ce sont des déterminations nécessairement arbitraires, que les tribunaux sont appelés à corriger dans les cas particuliers, sans que leurs décisions puissent prétendre jamais à une exactitude rigoureuse. La conception de l’idéal moral, quelque distance qui la sépare de la réalité, n’est pas moins nécessaire pour donner aux règles morales et aux jugements moraux leur seule base légitime. Dans la pratique comme dans la théorie, toutes les questions de responsabilité morale se ramènent aux deux chefs suivants :

Jusqu’à quel point telle action a-t-elle été accomplie sciemment et volontairement, en conformité ou en violation d’une loi qui, dans les mêmes circonstances et toutes choses égales d’ailleurs, vaudrait universellement pour toute volonté ?