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le bon combat. L’intelligence dirige la volonté ; mais, à son tour, elle a besoin de la volonté pour se maintenir toujours attentive, pour envisager tous les aspects des questions, pour écarter toutes les chances d’erreur. La clarté et la justesse de l’esprit sont des dons naturels, mais ce sont aussi des qualités qui se développent et se perfectionnent par l’étude et qui se perdent aisément si l’on ne fait aucun effort pour les préserver de toute altération et de toute défaillance.

Aux qualités de l’esprit se joignent celles du cœur pour assurer à la volonté la possession d’elle-même. Un stoïcisme intempérant ne reconnaît l’autonomie de la volonté que dans l’asservissement des passions. C’est mutile r l’homme. Ces noms de facultés : volonté, intelligence, sensibilité, n’expriment pas ces entités distinctes et séparables, entre lesquelles la psychologie classique, suivant une psychologie nouvelle, aurait découpé l’âme humaine ; ils n’expriment que les divers aspects sous lesquels l’être conscient se manifeste à lui-même. Bossuet n’avait pas attendu la nouvelle psychologie pour dire avec sa précision ordinaire : « Toutes ces facultés ne sont au fond que la même âme, qui reçoit divers noms à cause de ses diverses opérations. » Non-seulement la volonté ne se sépare pas des autres facultés ; mais suivant la définition très exacte de M. Ribot, « elle est la réaction propre d’un individu, dans la totalité de ses états de conscience[1] » et, comme dit encore l’auteur des Maladies de la volonté, « l’acte volontaire… suppose la participation de tout ce groupe d’états conscients ou subconscients qui constituent le moi à un moment donné[2]. » Parmi ces états, ceux qu’on appelle les sentiments ou les passions peuvent être également le stimulant le plus efficace ou l’obstacle le plus redoutable à la perfection de l’acte volontaire. Leur concours sera d’autant plus utile qu’il sera assuré par la plus complète harmonie, soit entre chacun d’eux, soit d’une manière générale, entre eux et les autres états de conscience. Cette harmonie se réalise par la modération des sentiments, par la paix du cœur, qui est en même temps la paix de l’âme tout entière. Elle s’achève par la subordination hiérarchique des sentiments entre eux, suivant leur degré d’étendue et d’élévation. On a souvent remarqué que la sensibilité forme comme une série de cercles concentriques, dont le plus étroit est le pur amour de soi ; mais à chacun de ces cercles en correspondent d’autres, non plus dans le sens d’une extension plus ou moins grande, mais dans celui d’un ordre de dignité ou d’excellence de plus en plus

  1. Les Maladies de la volonté, page 23.
  2. Ibid., pages 32-33.