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sible, en effet, de concevoir un idéal de perfection sans se demander si cet idéal, vers lequel nous devons tendre sans cesse et qui s’élève toujours plus haut à mesure que nos efforts semblent nous en rapprocher, ne trouve pas sa réalisation dans un être absolument parfait. Nous pouvons d’autant moins échapper à cette question qu’elle a reçu une solution affirmative, sous une forme plus ou moins pure, non seulement dans toutes les religions, mais dans la plupart des systèmes de morale et qu’elle appartient, soit par les croyances qui ont prétendu la résoudre, soit par les controverses qu’elle a suscitées, aux traditions les plus constantes de l’humanité. Il faut donc à la recherche des principes humains de la morale joindre celle de ses principes divins.

Nous ne voulons traiter ici que le premier des trois ordres de considérations que nous avons énumérés : celui des conditions subjectives qui complètent dans la réalité l’idée toute formelle d’une volonté autonome, et même parmi ces conditions, nous écarterons les idées métaphysiques du libre arbitre et de l’unité substantielle du moi, pour nous en tenir aux seules données de la psychologie expérimentale.

V

Nous avons déjà indiqué le fait général qui sert comme de lien entre la loi morale, conçue dans sa forme pure et abstraite, et la volonté humaine reconnue par la conscience dans tout l’ensemble de ses éléments et de ses conditions d’existence. Ce fait, c’est la responsabilité morale. Nous avons conscience de notre responsabilité à l’égard de certains actes et, par cela seul, nous reconnaissons que nous sommes obligés de les accomplir. Nous nous sentons responsables devant nous-mêmes et, par cela seul, nous reconnaissons que le commandement qui nous oblige est un acte de notre propre volonté. La responsabilité transporte ainsi l’autonomie de la volonté de l’ordre formel dans l’ordre réel, du domaine des idées pures de la raison dans celui des faits de conscience.

La personnalité est, dans l’homme, la condition générale de la responsabilité. Elle est constituée essentiellement par les deux attributs de la liberté et de la raison sans lesquels la réalisation d’une volonté autonome serait impossible ; mais elle comprend, dans la complexité de la nature humaine, bien d’autres éléments, qu’il importe de démêler pour se rendre un compte exact des éléments propres de la vie morale.