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E. BEAUSSIRE. — principes et conditions de la moralité

l’homme physique et qui, pour l’homme moral, sait distinguer les âges, les sexes, les conditions sociales, les degrés de civilisation, en un mot tous les états divers, constatés soit par des observations directes, soit par les inductions de la philologie, de l’ethnographie et de l’histoire proprement dite. Et il ne faut pas, d’un autre côté, se renfermer dans une psychologie tout expérimentale ou historique. Il y a, en psychologie, des questions métaphysiques, dont la morale ne peut pas plus se désintéresser que des pures questions de fait et qui ne sont pas les moins importantes pour l’intelligence et pour la pratique du devoir. Il faut enfin, pour répondre à toutes les exigences de la morale, une psychologie idéale, une conception de la nature humaine dans toute la perfection dont elle est capable. L’étude de la nature réelle de l’homme peut seule sans doute fournir les éléments de cette conception ; mais elle ne se forme et elle ne se développe progressivement qu’en s’élevant au-dessus de la réalité présente et en se donnant l’intuition anticipée, sinon de la perfection absolue, du moins de ce qui sera la réalité dans un avenir plus ou moins lointain.

Par la psychologie idéale, nous entrons déjà dans le second ordre de considérations qui doivent compléter la morale formelle. Ce sont des considérations objectives. La volonté autonome est l’objet immédiat de sa propre action ; mais de même que, pour agir, elle ne se sépare pas des autres éléments de la nature humaine, de même aussi elle n’est pas pour elle-même un objet nu ; elle s’offre à la détermination morale dans toute la complexité de la vie dont elle n’est qu’un des facteurs. Il faut donc reprendre, à ce nouveau point de vue, toute la psychologie ; mais il faut surtout la reprendre dans ses conceptions idéales ; car l’objet de tout devoir est essentiellement un idéal ; ce qui doit être est toujours conçu comme supérieur à ce qui est. La volonté autonome, considérée comme principe formel, est déjà un idéal, mais un idéal abstrait et sans vie ; il faut, pour s’en proposer efficacement la réalisation, l’entourer idéalement de toutes les conditions les plus propres à l’élever au plus haut degré d’énergie, de fermeté et de puissance. Il faut, en un mot, pour reprendre une comparaison et nous nandous sommes déjà plusieurs fois servi, substituer au type formel de la machine à vapeur le type d’une machine également parfaite par l’excellence et par la durée de son fonctionnement et par la variété infinie de ses applications.

Enfin, par cet idéal de la nature humaine où s’achèvent à la fois la conception des conditions subjectives de la moralité et celle de son objet, nous touchons à un dernier ordre de considérations, destinées à donner à la morale son couronnement métaphysique. Il est impos-