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E. BEAUSSIRE. — principes et conditions de la moralité

magistrat d’Esquirol et de M. Ribot n’avait plus évidemment la responsabilité, nous ne dirons pas de ses actes, mais de son inaction. D’autres volontés également malades, qui subissent une impulsion irrésistible, pourront perdre le vouloir autonome, le vouloir moral, sans perdre tout vouloir. Elles ne seront pas inertes, comme dans le cas précédent ; mais elles seront également irresponsables. Enfin, sans qu’il y ait, pour la volonté, une altération profonde, elle a, suivant les individus, ses degrés de force et de fermeté, qui ne correspondent pas toujours aux états analogues de l’intelligence : autant de degrés dans la responsabilité morale. On louera, dans une volonté faible, un léger effort qui serait un acte de défaillance dans une volonté héroïque. La volonté autonome, considérée dans sa forme pure, est toujours identique à elle-même, mais chez les individus où elle se réalise, elle peut être absente ou présente et, lorsqu’elle est présente, elle peut s’exercer avec une énergie plus ou moins grande : absente, elle ne laisse place à aucune responsabilité ; présente, elle engendre une responsabilité proportionnée à son degré d’énergie.

Le principe de la volonté autonome justifie la règle que les esprits éclairés observent aujourd’hui de juger les actions d’après l’état particulier des lumières dont elles portent la trace, non d’après des maximes uniformément constantes. Ce qui fait la valeur propre de l’acte moral, ce n’est pas sa conformité à un certain type de civilisation, de sagesse et de justice, c’est le bon vouloir de son auteur, suivant le degré de culture intellectuelle et morale auquel il lui a été possible de s’élever. La forme universelle de la vertu, dans ses manifestations les plus diverses et souvent les plus opposées, c’est la volonté de s’affranchir de toute sujétion extérieure ou intérieure et de se rendre maître de soi-même. L’obligation morale commence quand on se commande à soi-même certains actes, non par une volonté capricieuse, asservie à telle ou telle passion, mais par une volonté raisonnable, qui fait effort pour se gouverner d’après des maximes universelles auxquelles toute volonté raisonnable devrait également conformer son propre gouvernement. Enfin l’obligation morale est proprement accomplie dans tout acte qui tend à réaliser ce libre gouvernement de la volonté par elle-même, quelque erreur qui puisse être commise dans l’appréciation des moyens de le réaliser.

IV

Les adversaires d’une morale rationnelle se plaisent à énumérer tous les exemples d’actes immoraux, souvent même d’actes abominables, qui se produisent ou qui se sont produits, en toute sécurité