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Il ne s’agit ici, en effet, que de la volonté considérée en elle-même, dans son essence propre et formelle. Il faut un effort de réflexion et d’analyse pour la dégager des éléments de tout ordre qui entrent comme parties intégrantes dans tous ses actes, lorsqu’elle se manifeste à la simple conscience ; mais, s’il est difficile de démêler exactement ce qui lui appartient en propre, il n’est pas besoin d’une profonde et subtile philosophie pour la reconnaître et pour lui faire sa part dans la responsabilité morale. La responsabilité, dans le sens vulgaire comme dans le sens philosophique du mot, suppose un commandement, c’est-à-dire un acte de volonté ; elle ne prend un caractère moral que si le commandement d’où elle dérive est accepté à la fois par la raison et par la volonté de l’agent responsable.

Ce n’est pas, en effet, par une distinction quintessenciée entre les facultés de l’âme que nous faisons intervenir la volonté à côté de la raison dans l’acceptation du commandement moral. L’expérience psychologique a démontré depuis longtemps la fausseté de l’axiome socratique, reproduit trop facilement par Descartes, qu’il suffit de bien penser pour bien faire. La volonté a ses défaillances ; elle a ses maladies qui viennent d’être profondément étudiées par M. Ribot. Si nous ne pouvons souscrire à toutes les conclusions de cette étude, nous ne pouvons nous soustraire à l’évidence des faits qui servent de base à ces conclusions. Or, dans quelques-uns des cas cités par l’éminent psychologue, nous voyons la rectitude et la netteté de l’intelligence unies à l’impuissance de la volonté : « Vos conseils sont très bons, dit un magistrat distingué, atteint d’aboulie ; je voudrais suivre vos avis, je suis convaincu ; mais faites que je puisse vouloir, de ce vouloir qui détermine et qui exécute[1]. » Il faut remarquer la distinction si nettement entendue par le malade des deux actes du vouloir, la détermination et l’exécution. La détermination, c’est l’ordre que la volonté se donne à elle-même. Tant que l’exécution n’a pas suivi, deux déterminations, deux commandements peuvent se produire à la fois et soutenir une lutte plus ou moins violente. Je veux et je ne veux pas. Je veux des choses contraires, impossibles à concilier, dit-on communément. Je veux, d’une manière générale, faire mon devoir ou assurer mon bonheur, et toutes sortes de volontés particulières se mettent sans cesse à la traverse de mon bonheur ou de mon devoir. Dans ce conflit de déterminations, la responsabilité peut trouver ses conditions normales ; mais elle ne subsiste plus, quel que soit l’état de santé de l’intelligence, si la volonté est malade, si elle est impuissante à donner aucun ordre, à prescrire aucun devoir. Le

  1. Les Maladies de la volonté, page 39. — Ce cas est cité d’après Esquirol.