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II

Nous pouvons, maintenant, après ces éclaircissements nécessaires, emprunter à la doctrine de Kant tout ce qui rentre proprement et exclusivement dans la morale formelle.

La morale formelle, telle que Kant a cherché à l’établir, se résume tout entière dans l’idée d’une volonté libre.

La volonté libre est à la fois sa propre loi, l’objet même de sa loi, le législateur de qui elle émane.

La loi contenue dans l’idée d’une volonté libre est une loi de la raison. Elle ne dépend d’aucun des mobiles empiriques auxquels la volonté pourrait s’assujettir et dont l’affranchit le plein et pur exercice de sa liberté. Elle se conçoit absolument en elle-même comme une loi nécessaire et universelle : nécessaire, par cela seul qu’elle est indépendante de toute détermination empirique ; universelle, car l’idée d’une volonté libre est la même pour tout être doué de volonté et de raison.

La volonté libre se veut elle-même et ne peut vouloir proprement et directement qu’elle-même. Elle ne veut d’autres objets qu’autant qu’ils lui sont conformes ou qu’ils concourent à la réaliser. Elle se veut dans l’individu qui l’exerce et elle se veut par là même dans tout autre individu raisonnable et libre, puisqu’elle est partout identique à elle-même. Elle est donc nécessairement et universellement son propre objet.

La volonté libre, en se voulant elle-même, s’impose à elle-même sa propre loi par un commandement obligatoire. Elle est la racine même de toute obligation, le principe immédiat de l’impératif catégorique ou du devoir. Législatrice tout ensemble universelle et personnelle, elle peut seule réaliser les deux conditions qui sont impliquées dans l’idée d’obligation, la nécessité et la liberté : la nécessité dans l’idée même du commandement imposé à la volonté ; la liberté dans l’acceptation et dans l’exécution de ce commandement.

Réduite à ces termes, qui en contiennent tout l’essentiel, et dégagée ainsi de tous les détails qui tendent à l’éclaircir et qui trop souvent n’ont réussi qu’à la rendre plus obscure, la morale formelle de Kant paraîtra encore assez étrange et bien éloignée des idées communes. Les plus graves objections ne lui ont pas été épargnées dès l’origine et elles viennent d’être renouvelées avec une grande force de logique par M. Fouillée. Ces objections reposent, en grande partie, sur une