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E. BEAUSSIRE. — principes et conditions de la moralité

avec les actions humaines, du moins avec les idées morales généralement reçues.

Ces désavantages des principes formels en morale ne sont pas une raison de les rejeter ; mais ils rendent plus nécessaire la détermination exacte et précise des caractères généraux qui, dans tous les ordres de connaissances, sont propres à de tels principes.

Les principes formels sont des idées abstraites ; mais ils n’embrassent pas toutes les idées abstraites ; ils ne comprennent que celles qui peuvent se concevoir indépendamment de toute condition d’existence pour leurs objets. Les propriétés géométriques et les propriétés physiques des corps sont également l’objet d’idées abstraites ; mais les premières seules sont l’objet d’idées formelles. Je me fais une idée parfaitement nette des lignes, des surfaces et des solides, et je puis déduire rigoureusement de leurs définitions toutes leurs propriétés sans avoir besoin de considérer les conditions nécessaires pour leur réalisation matérielle. Je ne puis, au contraire, concevoir exactement la pesanteur, la chaleur, la couleur que dans des corps réellement existants et sous la double condition des causes objectives qui sont nécessaires pour les produire et des causes subjectives qui sont nécessaires pour les percevoir.

Les principes formels sont des conceptions idéales ; mais l’idéal formel est loin d’embrasser tout ce qu’exprime le nom d’idéal. Dans les démonstrations de la physique élémentaire, on se représente le type de la machine à vapeur réduit à sa plus simple expression, c’est-à-dire un piston se mouvant dans un cylindre où ses deux faces sont alternativement soumises à l’action d’un jet de vapeur. C’est l’idéal formel, mais ce n’est pas l’idéal complet d’une machine à vapeur. L’idéal, dans la plus haute acception, c’est, pour chaque objet, toute la perfection possible. Il suppose la conception approfondie de tous les moyens d’exécution, de toutes les conditions à remplir, de tous les obstacles à écarter ; il se développe avec tous les progrès de la science, de l’industrie et de l’art ; il ne saurait en être le point de départ.

Les principes formels sont, enfin, des conceptions absolues ; mais ils ne se rapportent qu’à la signification la plus simple et la moins contestable de ce nom d’absolu. Ils ne dépendent en rien de l’absolu métaphysique ; ils n’expriment que l’absolu logique, c’est-à-dire des conceptions telles que leur contraire soit non seulement impossible, mais inconcevable. Telles sont les conceptions mathématiques ; tels doivent être les principes formels de la morale.