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LES PRINCIPES FORMELS

ET LES

CONDITIONS SUBJECTIVES DE LA MORALITÉ


I

L’établissement d’une morale formelle est la partie la plus solide de la philosophie kantienne ; mais il faut y dégager les principes vraiment formels d’un certain nombre de principes d’un autre ordre que Kant y a mêlés pour essayer de mettre d’accord son dogmatisme pratique et son sceptisme spéculatif. M. Fouillée lui reproche avec raison cette confusion de principes hétérogènes, qui a le double tort de pécher contre la logique et de manquer son but ; car elle laisse subsister tout entière la contradiction des deux Critiques[1]. La morale formelle, telle que Kant l’a conçue, est la loi universelle de toute volonté. Elle est donc indépendante des conditions particulières dans lesquelles se meut la volonté propre de l’homme ; elle n’a rien à voir, dans son essence propre, avec la distinction chez l’homme du « phénomène » et du « noumène, » en supposant que cette distinction ait quelque fondement ; elle doit pouvoir se déduire tout entière de la définition d’une volonté, en la même façon que les théorèmes de la géométrie se déduisent de la définition des figures auxquelles ils s’appliquent. Il y aura lieu sans doute de se demander dans quelles conditions la morale formelle peut devenir la morale pratique de l’homme, la loi de la vie réelle et concrète pour les individus et pour les sociétés ; mais considérée en elle-même, la morale formelle ne dépend en rien de la solution de cette question, de même que les mathématiques pures ne dépendent en rien des applications qu’elles peuvent recevoir, soit dans les sciences expérimentales, soit dans les arts mécaniques. Kant a négligé, dans la Critique

  1. L’examen de la morale kantienne tient la plus grande place dans la Critique des systèmes de morale contemporains, Paris, Germer Baillière, 1883.