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à toute unité d’explication des phénomènes psychiques. M. Wundt en effet n’attribue pas au cerveau seul, comme James Sully ou Spencer, l’élaboration des données des sens, mais à une activité toute spirituelle, qui n’émane pas de l’organisme et qui échappe même complètement aux lois physiologiques. La pensée, divisée en fonctions supérieures et fonctions inférieures, est pour ainsi dire coupée en deux. Est-ce là, dira-t-on, une synthèse définitive ?

M. Wundt répondrait probablement que cette dualité d’explication est exigée par la nature même des faits. Il y a dans notre conscience deux ordres de faits nettement séparés, les représentations associées et la pensée active qui réfléchit sur ces représentations. On ne peut, sans se mettre en contradiction avec l’évidence même, nier l’activité du sujet pensant. Cette activité n’est pas en effet une hypothèse, comme les forces du monde physique, c’est un fait que nous saisissons immédiatement, avec autant de certitude que nos représentations. Or, vouloir expliquer cette activité, en la réduisant aux fonctions cérébrales comme le veut Spencer, c’est simplement la nier ; cette objection est même la plus forte que l’on puisse diriger contre l’empirisme anglais. L’empirisme anglais est faux parce qu’il fait de la pensée une passivité, tandis qu’en réalité c’est une activité.

Si l’unité d’explication de la pensée est incompatible avec les faits, s’il faut y renoncer, le système de M. Wundt nous paraît le plus simple qui se puisse et, pour ainsi parler, le plus économique. Il importait de réduire autant que possible le nombre des lois de la pensée, M. Wundt en pose seulement deux : l’association pour les opérations qui nous sont communes avec l’animal ; l’aperception pour les opérations supérieures qui sont le propre de l’homme.

Il semble difficile de donner une plus grande satisfaction au besoin d’unité de notre pensée. Si l’hypothèse des facultés multiples, dans l’école de Jouffroy, était artificielle, celle de l’unité absolue de composition, dans l’école anglaise, ne l’est pas moins. D’ailleurs il ne faut pas oublier que le système dont nous nous occupons est un système psychologique, et que peut-être l’unité à laquelle M. Wundt renonce en psychologie, pour ne pas se mettre en contradiction avec l’expérience, se retrouverait dans un système métaphysique encore à faire.

Nous ne croyons donc pas que le système de M. Wundt soulève aucune objection fondamentale grave ; en revanche, nous avouerons qu’il contient encore certaines obscurités, qui, certainement, seront éclaircies dans de prochaines publications. Ainsi bien des personnes demanderont à être éclairées sur la nature de cette activité qui s’oppose à l’organisme, et aussi sur le mode d’action que les