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S’il se risque à faire des prédictions, elles doivent toujours avoir une forme hypothétique et problématique. Telles circonstances étant données, il est possible ou probable que tel sentiment, telle idée se développera dans les esprits ; et si ces sentiments, si ces idées acquièrent une force active suffisante, tel événement se produira.

Les autres sciences morales historiques, telles que la philologie, l’histoire des littératures, la linguistique, la mythologie ont la même méthode et le même but dernier que l’histoire proprement dite. Ainsi le but de l’histoire littéraire est une interprétation psychologique des œuvres littéraires, interprétation tout à fait analogue à celle que cherche l’histoire. L’historien de la littérature expliquera l’œuvre d’un poète par exemple d’un côté, par le tempérament individuel de l’auteur, et de l’autre par les influences qui l’ont déterminé à écrire. Ici la différence qui sépare l’explication mécanique des phénomènes physiques, de l’explication psychologique des faits moraux est bien plus sensible qu’en histoire. Il peut sembler permis au premier abord de chercher les lois de l’histoire, tandis qu’il serait absurde de vouloir ramener à des lois constantes la production littéraire ; et pourtant les faits littéraires sont tout comme les faits historiques des manifestations de l’activité humaine ; seulement les premiers relèvent plutôt des facultés supérieures et actives de la pensée, c’est-à-dire de la raison ; les seconds des fonctions inférieures et dépendantes, c’est-à-dire de la passion. Mais s’il est absurde en littérature de chercher des lois, il est parfaitement légitime de chercher des causes et d’interpréter au moyen de la psychologie les œuvres particulières.

L’histoire des langues ou linguistique au contraire se rapproche des Sciences de la nature ; elle peut sans absurdité tenter de réduire le développement des langues à des lois immuables, analogues à celles de la biologie. La raison en est que le langage, quoiqu’il exprime des idées, est en lui-même bien plutôt un produit de la nature, que de l’activité libre de la pensée. Les causes qui régissent l’évolution du langage sont avant tout physiologiques ; les altérations phonétiques par exemple sont évidemment des phénomènes psychologiques, qui ont leurs lois comme la digestion ou la respiration. Ajoutons que les phénomènes psychologiques qui exercent leur influence sur le langage appartiennent à cette catégorie de faits mentaux qui dépendent immédiatement du système nerveux. C’est même ce qui explique que les progrès du langage aient un caractère tout spontané par lequel ils échappent presque complètement à l’action directrice de la pensée réfléchie.

La méthode des sciences sociales, c’est-à-dire des sciences qui