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LACHELIER. — les lois psychologiques

d’impôts, c’est toujours le même instinct qui le fait agir. L’historien cherche donc à interpréter par la psychologie les événements accomplis, mais il ne songe guère à les déduire de lois universelles et nécessaires qui permettent d’en prévoir le retour. Il sait qu’il n’existe pas de semblables lois, qu’on n’en a jamais trouvé et qu’on n’en trouvera jamais.

Bien des discussions se sont élevées sur la question des lois de l’histoire, et l’on sait que deux systèmes ont été soutenus. Les partisans de la liberté absolue de la volonté ont nié l’existence de toute loi et même de toute causalité historique, les déterministes, au contraire, ont affirmé que les faits historiques étaient soumis, comme tous les phénomènes qui ont lieu dans le temps et dans l’espace, à des lois nécessaires, et que la complexité des phénomènes était la seule cause qui empêchât l’historien de découvrir ces lois. L’histoire serait, suivant les déterministes, dans une situation analogue à celle de la météorologie, qui, depuis l’établissement d’observatoires nombreux, explique fort bien, par les cyclones et anticyclones, le temps qu’il fait et qu’il a fait, mais se trouve encore dans l’impossibilité de prévoir, longtemps à l’avance, le temps qu’il fera, parce que les lois qui gouvernent la marche des mouvements tournants de l’atmosphère sont encore inconnues. Les deux opinions, suivant M. Wundt, sont excessives. Le système de la liberté d’indifférence qui consiste à admettre un pouvoir de se décider, indépendamment de tout motif, ne peut plus être soutenu. Ce n’est pas sans motif qu’un prince déclare la guerre, ou qu’un peuple se révolte. Le déterminisme est donc vrai ; mais à la condition de ne pas confondre le déterminisme psychologique avec le déterminisme mécanique, et de ne pas oublier que dans le déterminisme psychique il n’y a aucun rapport constant entre l’énergie du motif et l’énergie de l’action. Ainsi les faits historiques, sociaux, économiques ont des causes psychologiques, mais ces causes n’agissent pas en vertu du principe de la conservation de la force, et on ne sait jamais au juste quels seront leurs effets : il y a donc cette différence entre la météorologie et l’histoire que la météorologie trouvera les lois mécaniques dont la marche des cyclones est un cas particulier, et alors elle fera des prédictions aussi certaines que l’astronomie, tandis qu’en histoire aucun progrès de ce genre ne pourra jamais être réalisé, parce que les phénomènes psychologiques dont dépendent les phénomènes historiques obéissent à une loi de production illimitée d’énergie.

La tâche de l’historien consiste donc non pas à chercher les lois de l’histoire, puisqu’il n’y en a pas, mais à découvrir les causes psychologiques particulières des événements une fois qu’ils sont accomplis.