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IV

les lois des sciences morales.

La psychologie, nous le savons, joue par rapport aux sciences morales, le même rôle que la mécanique par rapport aux sciences physiques. Expliquer en physique, en chimie, en biologie même, signifie réduire aux lois de la mécanique. Expliquer en histoire, en linguistique, en économie politique, en sociologie, signifie rattacher les phénomènes à leurs causes psychologiques. Mais il ne faut pas oublier la profonde différence qui distingue l’explication mécanique des faits physiques, de l’explication psychologique des faits moraux. Nous savons que la psychologie ne formule pas comme la mécanique des principes nécessaires auxquels les phénomènes doivent se plier jusque dans le plus petit détail. Nous savons qu’en psychologie le principe de la conservation de la force perd toute valeur, que le déploiement de l’énergie psychique est absolument indéterminable, que tantôt l’effet est supérieur à la cause et tantôt inférieur. S’il en est ainsi, les sciences morales, qui tirent de la psychologie leurs principes d’explication, devront évidemment renoncer à trouver des lois constantes, permettant de prévoir l’avenir avec certitude. Il n’y aura pas de lois de l’histoire, de l’économie politique, de la mythologie, etc.

D’un autre côté il reste vrai que les phénomènes historiques, économiques, moraux, etc., ne sont pas des phénomènes sans causes, et que leurs causes sont des phénomènes de conscience que la psychogie seule peut nous faire connaître avec précision. La psychologie fournit donc aux sciences morales sinon des principes de détermination, au moins des éléments d’interprétation.

S’agit-il par exemple d’un événement historique, d’une guerre ou d’une révolution, que fait l’historien ? Après avoir établi les faits par la critique des textes, il cherche à les expliquer, et c’est toujours en faisant la psychologie soit d’un peuple entier, soit de quelques hommes, soit même parfois d’un homme. S’il invoque des causes économiques et géographiques, ces causes sont encore en réalité des causes psychologiques. En effet, quand un peuple abandonne un territoire infécond pour envahir un pays plus fertile, c’est à l’instinct de conservation qu’il obéit, c’est-à-dire à un motif psychique ; quand un autre peuple se révolte parce qu’il est accablé