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LACHELIER. — les lois psychologiques

qu’il distingue le beau du laid. Il faut un long travail de réflexion pour arriver à dégager du sentiment les idées régulatrices et pour les amener à une formule précise. Et, même quand elles sont formulées, définies par l’intelligence, elles continuent à demeurer intimement liées aux sentiments qui leur donnent toute leur puissance active. L’homme de bien, l’artiste qui se sont préoccupés de définir le bien et beau, aiment le bien et le beau encore plus qu’ils ne les connaissent, et c’est cet amour qui dirige leurs actes.

C’est d’ailleurs au psychologue qu’il appartient plutôt de donner la formule des normes régulatrices de l’activité ; et pour mener à bonne fin cette tâche difficile, il ne se bornera pas à une observation superficielle de lui-même ; il recourra aux procédés plus exacts de la méthode psychologique, au moins de la méthode comparative et historique (car ici la méthode psychophysique est évidemment inapplicable). Il observera ses semblables, il consultera l’histoire des langues, des religions et des mœurs, et petit à petit il parviendra à déterminer les lois de l’aperception, bien qu’il ne puisse arriver à les formuler aussi exactement que celles de l’association.

Résumons-nous en quelques mots. Les phénomènes de conscience peuvent être ramenés à deux sortes de lois :

1o Les lois associatives ou psychophysiques qui se ramènent elles-mêmes aux lois physiologiques ;

2o Les lois aperceptives, en vertu desquelles la pensée élabore les matériaux que fournit l’expérience sensible et que conserve le cerveau.

Les lois associatives sont de même ordre que les lois physiques ; mais les lois aperceptives sont d’une tout autre nature. En effet il y a une sorte de nécessité mécanique dans la manière dont les états de conscience s’associent, tandis que le développement des idées régulatrices et surtout leur influence sur l’aperception n’est soumise à aucune nécessité de ce genre. Nous sommes donc une activité créatrice et libre, limitée seulement par les conditions organiques de l’acquisition, de la conservation, et de la reproduction des données sensibles.

Il nous reste maintenant à déduire de la méthode psychologique la méthode des sciences morales. Nous ne passerons pas en revue, comme le fait M. Wundt, toutes ces sciences les unes après les autres. Il suffira de quelques considérations sur l’histoire, l’histoire littéraire, la linguistique, etc.