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LACHELIER. — les lois psychologiques

un moyen pour réaliser ce moyen, etc. ; je construis ainsi toute une série de moyens, et c’est seulement quand le dernier moyen, celui par lequel il faut commencer, est choisi et voulu, que la série des mouvements s’exécute, en vertu d’un mécanisme préparé par la nature et que, dans la plupart des cas, je ne connais même pas.

Enfin, il y a une troisième forme d’activité intellectuelle sur laquelle nous n’insisterons pas, parce qu’elle s’explique de la même manière que la précédente, c’est l’imagination, c’est-à-dire le pouvoir de combiner des matériaux sensibles de manière à réaliser le beau. L’aperception, dirigée par le sentiment esthétique, choisit les images et les sons qui, combinés, pourront nous émouvoir, et l’artiste réalise ensuite cette combinaison, de la même façon qu’il exécute un plan de conduite quelconque.

L’activité aperceptive, tel est donc, en nous, l’élément irréductible à l’association et aux lois physiologiques, le pouvoir vraiment libre qui constitue l’essence même de notre moi. S’il est vrai que les lois psychophysiques ne sont que l’expression consciente de processus nerveux, encore mal déterminés, l’aperception, elle, reste indépendante de l’organisme, et c’est librement qu’elle s’applique aux matériaux que le cerveau lui fournit en vertu d’une nécessité mécanique.

La liberté de l’aperception n’est pourtant pas une liberté d’indifférence. Notre activité n’est pas libre en ce sens qu’elle échappe à toute direction et s’exerce au hasard. Une pareille liberté, outre qu’elle est contredite par les faits, outre qu’elle est à peine concevable, ne serait pas un avantage pour l’être qui la posséderait ; elle ne vaudrait guère mieux pour lui que le déterminisme aveugle ; elle vaudrait même beaucoup moins parce que le déterminisme aveugle au moins assure la conservation de l’individu, de la société, de l’espèce.

M. Wundt est bien convaincu que l’acte aperceptif est soumis à des motifs, et ces motifs, il les cherche surtout dans cet ensemble d’inclinations et de dispositions héréditaires, de principes et d’idées directrices liées à des sentiments qui forment notre caractère et le fond de notre personnalité. Et pourtant, malgré cette influence du caractère, il croit que nous sommes libres. Nous sommes libres d’abord en ce sens que notre activité, toute déterminée qu’elle est, reste supérieure à l’organisme, irréductible aux lois du cerveau ; ensuite et surtout parce qu’il n’existe aucun rapport constant et mesurable entre l’action déterminante des motifs et la réaction de l’aperception. C’est même là le caractère propre qui distingue le déterminisme psychologique du déterminisme mécanique. La loi de l’esprit n’est pas, comme la loi de la matière, la conservation de