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cela de manières différentes : ou bien elle réduit les représentations successives à un petit nombre de groupes (les idées générales) ; ou bien au contraire, elle divise et décompose une représentation totale et ses éléments. La pensée peut être définie une activité analytique et synthétique tantôt elle unit, tantôt elle sépare, tantôt elle combine, tantôt elle décompose. Les opérations logiques, les combinaisons de l’imagination, la direction morale de notre conduite ne sont que des effets de ce double pouvoir.

Commençons par les opérations logiques. La formation du concept et celle du jugement seront d’excellents exemples de l’élaboration par la pensée des matériaux fournis par les sens. Le concept, en effet, résulte d’un travail de composition, et le jugement d’une décomposition[1].

D’abord un exemple très simple pour montrer comment l’aperception peut volontairement ramener les représentations successives à des groupes. Je suppose le tic tac d’un pendule se produisant à intervalles réguliers, avec une intensité toujours égale. Tout le monde sait que, dans ce cas, nous groupons deux par deux, trois par trois, ou quatre par quatre les perceptions successives. Ce groupement est dû à l’aperception, nous apercevons en effet un des sons sur deux, trois, ou quatre, nous lui donnons ainsi une valeur plus grande que celle qu’il a objectivement et nous en faisons une sorte de point d’arrêt, qui détermine le groupement des tic tac par deux, trois ou quatre, à volonté.

C’est par un procédé tout à fait analogue que nous formons nos représentations générales ou concepts. Une série de représentations traverse notre conscience, ces représentations présentent des caractères communs ; parmi ces caractères il y en a un qui nous frappe plus vivement que les autres nous l’apercevons et ce caractère nettement aperçu finit par devenir le signe, le symbole des représentations où il se présente. Il suffit qu’il apparaisse au point de vision distincte de la conscience, pour attirer et amener à l’esprit après lui, par association, toute une série de représentations auxquelles il appartient en commun.

Ainsi parmi tous les caractères du cheval, il y en a un qui a vivement frappé l’arya primitif, sa vitesse. C’est ce caractère, nettement aperçu chez quelques chevaux, qui a fini par l’emporter sur tous les autres et par devenir le signe de tous les chevaux en général, même de ceux qui n’étaient pas rapides. C’est ce caractère que désignait le mot pri-

  1. Cf. Logique, vol.  I, 1re partie, 2e chap. Die aperceptiven Verbindungen der Vorstellungen.