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LACHELIER. — les lois psychologiques

féremment pour le désigner des mots Aperception et Wille. L’aperception est donc la loi unique à laquelle il faut maintenant ramener toutes les opérations actives de notre pensée.

Le premier effet de l’aperception, le plus simple, c’est de modifier, de diriger l’association. Nous disions, tout à l’heure, que les combinaisons associatives, malgré leur caractère passif et spontané, ne laissaient pas de se prêter à l’action de la volonté aperceptive ; en voici des exemples familiers : l’assimilation, c’est-à-dire la combinaison d’une perception actuelle d’un sens avec une représentation reproduite, semble être un phénomène tout physiologique, s’accomplissant presque à notre insu, tout à fait indépendant de nous ; il y a pourtant des assimilations actives. Soit une perception du sens de l’ouïe ou de la vue ; quand cette perception est peu précise, nous pouvons la modifier à notre gré, au moyen des représentations subjectives que notre volonté fixe dans la conscience, pendant qu’elle se produit. C’est ainsi qu’en chemin de fer nous pouvons transformer en un air quelconque le bruit régulier et presque rhythmé des roues de notre wagon. Il suffit de nous rappeler un air, de le chanter intérieurement pour l’entendre aussitôt. C’est par un procédé analogue, que, si l’on dessine au tableau un dé dont les arêtes seules sont indiquées, nous pouvons mettre en avant celle des deux faces que nous voulons. Il suffit pour cela de nous représenter intérieurement un dé vu de dessous ou un dé vu de dessus. Mais le fait le plus connu, le plus saisissant, c’est la direction par la volonté de l’association successive. Ainsi je veux me rappeler le nom d’une personne, dont je peux encore ne représenter nettement les traits ; il suffira souvent, pour réveiller le souvenir qui m’échappe, de fixer mon attention sur l’image de cette personne. Cette image, en se précisant sous l’influence de l’aperception, excitera pour ainsi dire l’association, une foule de souvenirs relatifs à cette personne apparaîtront à la conscience, et le nom cherché finira par être retrouvé. Je veux résoudre un problème de géométrie. Je dessine la figure au tableau et je la considère attentivement, je vois aussi apparaître, dans les parties obscures du champ de ma conscience, des images de figures géométriques et, parmi ces figures, celles qui me serviront à résoudre mon problème. C’est par l’aperception que nous sommes maîtres de notre mémoire. Nous allons voir que c’est ainsi par elle que nous jugeons, que nous raisonnons, que nous combinons des moyens en vue d’une fin, en un mot que nous pensons.

L’activité aperceptive ne se borne pas à augmenter la précision et la netteté de nos représentations, en les maintenant au point de vision distincte de la conscience ; elle les modifie, les élabore, et