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formée dans l’esprit par les perceptions précédentes. Mais c’est surtout à l’association successive qu’ont été appliqués avec le plus de succès les procédés d’expérimentation. Le temps nécessaire pour qu’une représentation en remplace une autre au point de vision distincte de la conscience, les circonstances qui font varier ce temps ont été déterminés avec la plus grande exactitude à l’aide d’ingénieux appareils. On trouvera dans les Philosophische-Studien les résultats de ces expériences exposés avec de grands détails[1].

Les lois psychophysiques sont donc des lois d’association. Ces lois rendent compte de tous les phénomènes passifs de l’intelligence ; elles expriment la manière dont les matériaux acquis par les sens se combinent pour être ensuite élaborés par la pensée active. Il serait facile de montrer que toutes les lois de l’éducation des sens, de la localisation des sensations, de la mémoire ne sont que des cas particuliers de la grande loi d’association. On sait que la reproduction, la reconnaissance et la localisation dans le passé des représentations s’expliquent sans peine par l’association. Quant aux maladies de la mémoire, il est bien démontré qu’au point de vue psychologique, ce sont des troubles de l’association.

M. Wundt est donc associationniste, mais seulement en ce qui concerne les fonctions inférieures de la pensée. Dès qu’il s’agit des fonctions supérieures, il se sépare des psychologues anglais et reconnaît avec les kantiens l’existence d’une activité intellectuelle dont les lois sont absolument différentes des lois pour ainsi dire passives de l’esprit ; il y a des lois actives. Voyons quelles sont ces lois.

De même que toutes les lois passives se ramènent à l’association, les lois actives se réduisent à l’aperception. Qu’est-ce que l’aperception ?

Si nous comparons le champ de la conscience au champ de la vision, nous pourrons nommer perception l’entrée de la représentation dans le champ de la conscience et aperception, l’entrée de cette même représentation dans ce que nous avons déjà appelé le point de vision distincte de la conscience. Ce point de vision distincte de la conscience est analogue à celui de l’œil, avec cette différence toutefois que nous pouvons le resserrer ou l’étendre à notre gré : l’aperception est d’autant plus nette qu’il est plus réduit. Or toute l’activité de notre pensée consiste dans le pouvoir que nous avons d’amener une représentation au point de vision distincte de la conscience et de l’y maintenir. La volonté humaine n’est autre chose que ce pouvoir : M. Wundt et ses élèves se servent à peu près indif-

  1. Articles de MM. Trautscholdt, Kraepelin, Tischer, nos 2, 3 et 4.