Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 19.djvu/132

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
128
revue philosophique

l’association inséparable que l’étude du monde extérieur a établie dans notre esprit entre l’idée de force et l’idée de substance, nous cherchons à rattacher cette activité à une substance, substance inétendue cette fois parce qu’il s’agit d’une activité spirituelle. Mais quel avantage l’esprit peut-il trouver à rendre compte d’une réalité absolue, d’une chose en soi, la seule que nous connaissions directement, par une hypothèse, dont il n’est pas facile de se faire une idée positiver Car l’hypothèse de la substance immatérielle n’est pas seulement inutile, elle est de plus illégitime parce que nous sommes incapables non seulement de nous représenter, mais même de concevoir cette substance. La preuve c’est que nous ne pouvons la définir que négativement en niant d’elle tous les caractères de la matière, l’étendue, la divisibilité, la résistance, etc.

On objectera peut-être que, dans le langage courant, nous nous distinguons de notre propre activité, que nous disons je pense, je réfléchis, je combine des moyens en vue d’une fin. Mais l’objection n’est pas sérieuse : l’usage du pronom je ne peut en effet prouver que nous ayons conscience de notre moi comme d’une substance. Il est clair que la distinction faite par le langage a seulement une valeur logique ; on ne saurait, sans commettre le sophisme ontologique, en conclure que cette distinction toute mentale corresponde à une opposition réelle.

Le fait de l’immutabilité ou de l’identité du moi ne prouve pas davantage l’existence d’une substance immatérielle. Outre que notre moi ne nous apparaît pas avec la constance absolue qu’il faudrait attribuer à une substance simple, immatérielle, pourquoi l’activité de notre pensée, toujours semblable à elle-même, n’expliquerait-elle pas cette permanence du moi dont nous avons conscience ?

En résumé, la pensée de M. Wundt nous paraît être celle-ci l’essence de notre esprit est une activité qui élabore des matériaux fournis par les sens. Cette activité est une réalité immédiatement connue, partant une chose en soi ; et il n’y a aucune raison décisive de la rattacher à une substance immatérielle, qui d’ailleurs est inconcevable et indéfinissable. Voici maintenant quelles sont les conséquences de cette manière de voir. L’activité qui est nous-mêmes, ne résidant plus dans une substance immuable, ne saurait être soumise à la loi mécanique, valable seulement pour le monde étendu, de la conservation de la force. Notre activité n’est donc pas nécessitée, ses effets ne peuvent pas être mesurés, calculés et prévus comme ceux des forces physiques, en un mot elle est libre ; et comme son influence peut se faire sentir dans tous les phénomènes de conscience, il s’en suit que ces phénomènes ne sont pas soumis au