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LACHELIER. — les lois psychologiques

est donc de savoir si la psychologie, pour expliquer cette énergie, doit faire l’hypothèse d’une substance inétendue, simple et immuable formant la base de notre personnalité. C’est ce que soutiennent tous les psychologues spiritualistes ; c’est ce que croyaient Descartes et Leibniz, c’est enfin la thèse qui, vers le milieu de ce siècle, a été reprise et rajeunie par Herbart. On sait en effet que le système métaphysique et psychologique de Herbart n’est qu’un puissant effort pour appliquer à notre conscience le même principe d’explication qu’au monde physique. Herbart admit l’existence d’un nombre infini de substances simples, inétendues et il entreprit de rendre compte de tous les faits de notre conscience par l’énergie de ces substances agissant les unes sur les autres. Toutes les lois psychologiques devaient être, à ce compte, des cas particuliers d’une loi unique exprimant, dans une formule simple, l’action et la réaction de ces atomes de substance. Herbart espérait fonder ainsi une véritable mécanique de la pensée, analogue à la mécanique des phénomènes physiques. L’entreprise de Herbart, comme toutes celles du même genre, ne fait que prouver une fois de plus, combien est puissante la tendance qui nous pousse à juger de nous d’après les choses et à transporter dans le monde intérieur des concepts destinés à expliquer le monde extérieur. Il faut faire ressortir l’illusion à laquelle conduit cette tendance. Le monde extérieur nous est donné sous la forme de phénomènes, qui ont tous pour caractère d’être étendus et de se succéder dans le temps. Pour rendre compte de ces phénomènes et de leurs changements, nous construisons l’hypothèse d’un nombre infini d’éléments matériels, c’est-à-dire étendus, dans lesquels nous faisons résider une force qui explique le mouvement, et nous ramenons tout changement phénoménal au mouvement. Ainsi, tant qu’il s’agit du monde physique, l’hypothèse d’une substance matérielle, servant de substrat aux forces actives, est indispensable parce qu’il s’agit d’expliquer des mouvements de corps étendus.

Ajoutons que cette hypothèse est légitime parce que nous pouvons nous représenter la matière qui remplit l’étendue. C’est en effet une règle de l’hypothèse que nous puissions nous représenter, ou tout au moins concevoir positivement la force que nous supposons. Mais si nous rentrons dans le monde intérieur de notre pensée, le problème est tout à fait différent. D’abord les faits dont il faut rendre compte, ne sont plus des phénomènes connus indirectement par les sens ; le fait, c’est une activité parfaitement une et simple, dont nous avons immédiatement conscience et qui est par suite réellement telle que nous la connaissons. Trompés par