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de l’esprit pourront différer beaucoup des lois physiques. Or l’application du concept de la substance aux phénomènes de la vie consciente, souffre, comme nous allons le voir, de graves difficultés ; car si l’on entend par substance, la matière étendue, il est clair que ce concept ne s’applique que partiellement aux faits internes, et si l’on veut parler d’une substance inétendue, immatérielle, on fait une hypothèse dont l’utilité et la légitimité sont très contestables.

Quelles sont les données de l’expérience interne ?

Ce sont d’abord les représentations qui viennent successivement occuper le champ de notre conscience. Tant qu’il s’agit seulement de représentations, il est inutile de recourir à un autre substrat que la matière étendue, car les représentations n’expriment, par leur contenu et leurs rapports de coexistence et de succession, que des états de la matière cérébrale. Le cerveau, suivant M. Wundt, a pour fonction de recevoir les impressions des sens, de les conserver, de les associer et de les tenir ainsi constamment à la disposition de la pensée active. La substance des représentations n’est donc autre que le cerveau ; les lois qui président aux combinaisons des sensations et représentations, ne sont au fond que la traduction de certaines lois encore mal connues des phénomènes cérébraux, et c’est pourquoi les lois des fonctions inférieures de la pensée ont, par leur spontanéité et leur presque nécessité, une grande analogie avec les lois du monde physique[1].

Mais nous ne trouvons pas seulement dans notre conscience des représentations successives,’nous y trouvons encore une activité qui s’oppose aux représentations, qui les modifie et les amène à des combinaisons nouvelles. Et ce ne sont pas seulement les opérations supérieures de notre pensée, le jugement et le raisonnement, qui nous révèlent cette activité nous en reconnaissons les effets même dans les fonctions inférieures de notre esprit, dans les associations les plus simples. Cette activité, qui est nous-mêmes, nous la saisissons immédiatement avec la même certitude que nos représentations, son existence ne peut donc en aucune façon être contestée mais nous ne saisissons aucun substrat qui lui serve de point d’appui, car notre conscience n’a l’intuition d’aucune substance sur ce point tout le monde est aujourd’hui d’accord. Or on ne peut rattacher une énergie toute spirituelle, qui réagit contre les sens et l’organisme, à la substance matérielle. Toute la question

  1. Cf. Logik. 1er vol. 5e partie, chap.  IV, et 6e partie, chap. II2e vol. , 4e partie, chap. I, III, a et b.